Musique
Le Ballet Preljocaj à l’opéra Garnier : un brillant hommage au compositeur Stockhausen

Le Ballet Preljocaj à l’opéra Garnier : un brillant hommage au compositeur Stockhausen

06 January 2013 | PAR Géraldine Bretault

Après avoir collaboré à maintes reprises avec l’Opéra de Paris, Angelin Preljocaj est invité cette année à présenter deux de ses oeuvres-phares bâties sur des partitions du compositeur Karlheinz Stockhausen. Une soirée magistrale, autour du mythique Helikopter et du solaire Eldorado (Sonntags-Abschied).

Helikopter, 2001

Impossible d’évoquer la pièce sans se référer d’abord à la partition. En 1993, Stockhausen fait un rêve dans lequel il voit des musiciens s’élever dans les airs à bord de plusieurs hélicoptères. À partir de là, le compositeur allemand a imaginé une pièce décapante, où les pales d’hélicoptère le disputent à des cordes vrillées et des stridulations à la limite du soutenable. Autant dire que sa mise en danse n’allait pas de soi à la première écoute, comme le confie Preljocaj. Et pourtant, il décide de relever le défi et produit une pièce immédiatement reconnue comme une œuvre majeure du répertoire contemporain.

À l’orée de la pièce, un tourbillon lumineux projeté du ciel vient redoubler visuellement le son des moteurs d’hélicoptères, dessinant un espace scénique délimité par des projections lumineuses au sol. De part et d’autre, six danseurs du Ballet Preljocaj se font face, leurs genouillères laissent présager de la danse physique qui va suivre. Il n’y a guère que l’odeur persistante de l’encaustique qui a dû être passé dans la journée pour nous retenir encore dans la réalité, tant ce qui va suivre nous emporte dès les premières secondes. Les danseurs entrent en marchant sur scène puis se mettent à danser, semblant à la fois imperturbables face aux sirènes inquiétantes de la partition sonore et en même temps mus au plus profond d’eux-mêmes par la musique. Les pirouettes et rotations se multiplient, les alliances se font et se défont – soli, paires, trios, hommes, femmes, s’unissent et se désunissent au gré de figures toujours plus complexes, sur un sol mouvant, au gré des motifs imaginés par le plasticien Förterer : ondes marines, nuées de chiffres, lignes parallèles.

La partition est puissante et l’écriture chorégraphique de Preljocaj trouve là une formidable occasion d’exprimer sa virtuosité, qui nous rappelle que nous avons bel et bien affaire à un de nos plus grands chorégraphes contemporains. On comprend davantage son intérêt pour la notation chorégraphique, et notamment la choréologie de Rudolf Benesh : comment sinon perpétuer et transmettre des pièce si complexes et exigeantes pour leurs interprètes. Les danseurs se montrent brillants, et connaissent pendant les 35 minutes que dure la pièce une véritable transmutation pour devenir des entités “technorganiques”, selon le terme employé par Preljocaj lui-même. La maîtrise du rythme surtout est impressionnante. Les variations de vitesse, totalement maîtrisées, sont encore soulignées par la persistance des images rétiniennes sur le fond noir. Comme souvent chez le chorégraphe, les figures de groupe sont particulièrement réussies, faisant état de sa science aiguë des emboîtements et enchevêtrements sensuels et légers.

Helikopter se regarde pratiquement en apnée, le coeur battant, à notre corps défendant, comme une possible métaphore du triomphe de l’intelligence humaine et de la sensibilité contre la barbarie quelle qu’elle soit. Quand la partition s’achève, Nagisa Shirai reste seule sur scène, prolongeant la pièce d’un solo au ralenti, dans un silence des plus assourdissants. Magistral.

 

Eldorado (Sonntags-Abschied), 2007

En 2002, Angelin voyage dans de lointaines contrées et découvre le bouddhisme, les spiritualités asiatiques. Il en tirera notamment Siddharta (2010) pour l’Opéra de Paris. Le chorégraphe a sans doute trouvé un écho à son échappée personnelle dans cette autre composition de Stockhausen, Sonntags-Abschied, issue d’un cycle plus vaste intitulé “Licht”. Il faut dire que la partition du compositeur, qui s’éteindra quelques mois seulement après la création du ballet, ouvre les portes à un imaginaire cette fois solaire, transcendantal, tissée autour d’une richesse sonore décuplée. Pour mettre en scène sa chorégraphie, Preljocaj a fait appel à Nicole Tran ba Vang, qui signe un décor et des costumes simples et harmonieux, dont les broderies ne font que rehausser la transparence.

Où sommes-nous ? Peut-être au cœur d’un sanctuaire indien, ou dans un temple dont les métopes sculptées auraient soudain pris vie, dans un ailleurs peuplé de créatures évanescentes. Le silence qui accompagne le premier duo est cette fois absolu, nous aspirant immédiatement dans une contemplation profonde. La chorégraphie renvoie à un monde primitif, où les pulsions sont sauvages et où la danse s’impose comme une évidence, telle une transe divine qui unit les forces telluriques aux puissances célestes. Multipliant les entrées et les sorties, ce sont cette fois douze danseurs qui se reconnaissent, se frôlent, se portent ou s’accouplent, dans un réseau de lignes fluides et déliées, qui se prolongent jusque dans des mouvements de doigts facétieux.

Le mystère restera entier sur la nature des rites accomplis dans cet étrange Eldorado. Au terme de cette soirée, seule demeure une exceptionnelle osmose entre des compositions musicales exigeantes, une écriture chorégraphique affûtée et des interprètes entièrement dévoués à leurs rôles. Le public a réservé des applaudissements nourris au chorégraphe venu les saluer.

 

“Travailler sur la musique de Stockhausen signifie fabriquer de la complexité, ce qui s’inscrit à contre-courant d’une époque où l’on aurait plutôt tendance à aller vers le minimalisme”. Angelin Preljocaj

 

 

Crédit photographique © Jean-Claude Carbonne

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Géraldine Bretault
Diplômée de l'École du Louvre en histoire de l'art et en muséologie, Géraldine Bretault est conférencière, créatrice et traductrice de contenus culturels. Elle a notamment collaboré avec des institutions culturelles (ICOM, INHA), des musées et des revues d'art et de design. Membre de l'Association des traducteurs littéraires de France, elle a obtenu la certification de l'Ecole de Traduction Littéraire en 2020. Géraldine a rejoint l'aventure de Toute La Culture en 2011, dans les rubriques Danse, Expos et Littérature. Elle a par ailleurs séjourné à Milan (2000) et à New York (2001, 2009-2011), où elle a travaillé en tant que docent au Museum of Arts and Design et au New Museum of Contemporary Art. www.slowculture.fr

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