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La Roque d’Anthéron : cinq pianistes, cinq caractères

La Roque d’Anthéron : cinq pianistes, cinq caractères

05 August 2021 | PAR Victoria Okada

Le 41e Festival international de piano La Roque d’Anthéron retrouve un public plus enthousiasmé que d’habitude. À la fin de chaque concert, les artistes sont acclamés, parfois avec une ovation debout, ce qui reflète la joie des mélomanes d’avoir assisté à de beaux moments musicaux. Nous avons écouté cinq récitals par cinq pianistes extrêmement différents.

Récitals du soir : Bertrand Chamayou et Grigory Solokov


Bertrand Chamayou
et Grigory Sokolov figuraient sur notre agenda du soir. Dans le cadre de son intégrale des Années de Pèlerinage de Liszt, Bertrand Chamayou joue la « Première Année – Suisse » en entier et deux extraits de la « Deuxième Année – Italie ». L’entrée est magistrale avec « Chapelle de Guillaume Tell ». Si, comme à l’accoutumée, Chamayou fascine par sa technique éblouissante, il faudra attendre l’« Orage » pour retrouver son aplomb habituel. Mais son interprétation n’est pas seulement marquée par la brillance pianistique ; dans « Le mal du pays », après avoir joué le motif initial avec une violence déchirante, il prend le temps nécessaire, sans aucune lourdeur, pour exprimer la nostalgie douloureuse du pays. C’est avec une réflexion intense en musique, dans le sillage de la « vallée d’Obermann », qu’il termine son récital dans « Après une lecture de Dante », avant de proposer deux pièces de Liszt (dont le « Sonnet 123 de Pétrarque ») en bis.
Contrairement à Chamayou qui montre toujours une spontanéité, l’interprétation de Grigory Sokolov, au Grand Théâtre de Provence, est parfaitement réglée, de la première note à la dernière. Aucune place pour un seul brin de fantaisie, même les ornements sont complètement programmés, et ce, dans un tempo toujours relativement retenu. Ainsi, les quatre Polonaises de Chopin perdent l’ardeur, et les dix Préludes op 23 de Rachmaninov ont plus l’allure d’un sage ancien que d’un jeune homme épris du romantisme. Chez lui, tout est dans la méditation, active ou tranquille. Mais malgré ces musiques minutieusement ordonnées, il n’ennuie jamais l’auditoire. Il a la force indéniable d’attirer, on veut toujours entendre ce qui va se passer un instant après. C’est là la preuve qu’il est un véritable maître du piano.

Jean-Baptiste Fonlupt, un piano narratif


Incroyable mais vrai, ce récital marque les débuts de Jean-Baptiste Fonlupt à La Roque d’Anthéron. Le pianiste propose un programme composé de courtes pièces (un Nocturne et la Barcarolle de Chopin, Fantasiestüke de Schumann, Lieder de Schubert transcrits par Liszt) avant le Ballade n° 2 de Liszt. Il joue chaque œuvre comme le peintre manie son pinceau, avec des couleurs, des perspectives, des nuances à chaque fois différentes. Son interprétation contrastée (tempo, rubato, sonorité…) convainc, notamment avec le caractère narratif et imaginatif qu’il accorde à chaque morceau. Un coup de cœur. (Compte rendu détaillé sur vivace-cantabile.com)

Deux femmes de caractère : Natalia Milstein et Anna Geniushene


Deux jeunes femmes se distinguent pendant notre séjour : Natalia Milstein par sa finesse et Anna Geniushene par une affirmation personnelle.
Natalia Milstein commence par les cinq pièces d’En plein air Sz. 81 de Bartók, suivies de la Suite Bergamasque de Debussy. Sa finesse et son élégance (« Musiques nocturnes » de Bartók, « Menuet » et « Clair de Lune » de Debussy) sont ses deux atouts, voire ses armes. Pour autant, l’énergie et l’agitation frénétique ne sont pas absentes (« Avec tambours et fifres », « La Chasse » de Bartók). Pour la Wanderer-Fantasie en ut majeur D. 760 de Schubert, si cette musique convient à sa sensibilité, elle manque encore d’endurance. Ainsi, quelques signes d’essoufflement dans le Scherzo et surtout dans l’Allegro final — elle prend une brève pause avant la séquence finale ou coda de l’Allegro, ce qui casse un peu le rythme — ne permettent pas de soigner les détails… Mais deux bis, le Prélude « Le vent dans la pleine » de Debussy et un extrait des Visions fugitives de Prokofiev, rattrapent largement ce manque.


Le récital d’Anna Geniushene dans l’espace Florans, une scène aménagée dans une allée de platanes centenaires, nous a donné une sensation étrange. Elle a construit son programme avec trois opus 33, de Beethoven (Bagatelles), de Chopin (Mazurka) et de Rachmaninov (Etudes-Tableaux). Dans Beethoven et Chopin, on sent quelque chose de bancal, ses expressions ne sont pas tout à fait en phase avec ces partitions. Les Bagatelles sont marquées par un romantisme maniéré et des rubati, eux aussi maniérés, défigurent quelque peu les Mazurkas. Et ce malgré ses pianissimi exquis. Mais lorsqu’elle commence à jouer Rachmaninov, on comprend que toute son expressivité est pour le compositeur russe ! Elle donne à chaque note des Etudes-Tableaux une place appropriée, naturelle et vivante. Les huit pièces de l’opus 33 sont ainsi illuminées par sa personnalité pianistique, tout comme la pianiste qui est radieuse dans ce répertoire.

Récitals des 28, 29, 30 juillet. 

Le Festival se poursuit jusqu’au 18 août.

photos © Valentine Chauvin

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Victoria Okada

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