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CD : Je suis au Paradis, ou les contes fantasques de Thomas Fersen

CD : Je suis au Paradis, ou les contes fantasques de Thomas Fersen

12 May 2011 | PAR Hassina Mechaï

Il promène dans le paysage de la chanson française une élégante silhouette et une voix râpeuse qui enlumine ses comptines cruelles pour adultes. Dans son univers de fabuliste amoral, on pouvait trouver des animaux amoureux, des insectes teigneux. Mais aussi des tueurs en série qui exécutent leur basse besogne de façon méticuleuse ou innocente. Et aussi des femmes cruelles aux prénoms évocateurs ; et puis aussi des objets dotés de vie et spectateurs impavides de la nôtre.

Dans son nouvel album, Thomas Fersen a reçu les clefs du Paradis et il nous l’ouvre bien volontiers. Et dans ce paradis « fersenien », on ne trouve nul angelot joufflu mais des monstres solitaires. Dès la belle pochette de l’album dessinée par Christophe Blain, le décor est posé. Thomas Fersen, est affalé sur un canapé incarnat, ironique sourire en lame de couteau et costume trois-pièces. Dandy détaché, il nous narre un paradis en stuc qui tient plus de la foire du trône, du boudoir d’une cocotte, ou du salon très 19eme siècle d’une « Maison de plaisir». Et ces chansons prennent la saveur des contes fantastiques de Théophile Gauthier ou de Guy de Maupassant qui auraient été mis en musique par Coldplay.

Car Thomas le crédule l’affirme : il veut résolument croire « au folklore des contes » ; et il met délicatement les mains dans les plaies existentielles de ses personnages pourtant déjà morts. Car chez Thomas Fersen, la mort n’empêche pas le savoir-vivre.

Il peuple cet album de monstres, un peu perdus, un peu perdants magnifiques. Il y décrit des situations horrifiques qui seraient quasi « abracadabra-dantesques » sans cette distance teintée d’humour qui transparait dans sa voix. Le paradis de Fersen est un paradis infernal peuplé d’un vampire esseulé, d’un pudique fantôme chapardeur de drap, d’un vieil égoïste jouisseur, de loups garous à la pelisse élimée, de momie médusante et d’enfant hérétique. Un paradis qui tiendrait presque de l’enfer de Dante ; mais celui qui y entre n’a pas à abandonner toute espérance mais seulement à se laisser guider par la voix gouailleuse de ce « Virgile » sarcastique qui sait bien qu’on va juste jouer à se faire peur.

Et chaque chanson est un bijou de narration ; on ne peut se contenter d’entendre distraitement cet album, il faut l’écouter, bouche bée, un peu comme des enfants à qui on raconte une histoire. Et on y découvre des scénarios à la Tim Burton, en moins onirique et en plus ironique ; et aussi du Roman Polanski parfois, mais celui de l’époque du foutraque Bal des vampires plutôt que celui de l’horrifique Rosemary’s baby.

Moins que la banalité du mal, Thomas Fersen décrit la banalité du monstre. Celui qui fait peur bien sûr ; mais surtout celui que l’on montre du doigt, celui qui est désigné comme tel par les autres. Enfermé dans ce regard, le monstre est alors tenté de fuir ; et il fait appel à toute la normalité du quotidien pour dompter sa « monstruosité ». C’est moins une description classique de l’irruption de l’extraordinaire dans l’ordinaire que la maîtrise de l’extraordinaire par le banal de la vie. Transparait alors dans ses chansons la question de savoir où se place réellement la ligne de l’ « a-normalité ».

Thomas Fersen jongle avec les mots et  leur sonorité ; dans un joli écrin musical, transparait un vrai plaisir à rouler les mots sous la langue comme autant de bonbons pétillants. Thomas Fersen utilise ainsi la langue des oiseaux, cette langue secrète qui consiste à jouer des mots, par la volatilité de leurs sens et sonorités et par l’usage de pirouettes narratives très habiles. La scie devient ainsi, dans “Le Balafré”, un instrument musical ou dangereusement chirurgical, c’est selon. Dans « L’autre femme », l’Ancienne devient Lucienne, la momie qui méduse derrière sa vitre d’exposition et la concierge qui foudroie derrière la fenêtre de sa loge. “La Barbe bleue” est en fait un monstre de maniaquerie au mystérieux placard si bien rangé . Un vieux garçon, malencontreusement mordu, enfile avec résignation, les soirs de pleine lune, son costume de loup garou et finira par trouver l’amour. Des chansons ciselées donc au stylet, à la canine pointue et au doigt osseux d’un squelette.

Thomas Fersen avait mis au goût du jour dans ses précédents albums le modeste ukulélé ou l’humble flûte à bec, ses arrangements antérieurs donnaient ainsi un ton très jazz et intime.  Il créé  cette fois-ci des mélodies volontairement lyriques, des envolées romantiques et mélancoliques aussi, comme pour mieux conter le monstre et contrer le macabre. Il y chante également plus haut car sa voix naturellement ténébreuse aurait ajouté inutilement une dimension sépulcrale à cet album qui est tout sauf sombre. Il s’essaye également, avec bonheur, aux sonorités bretonnes (“Parfois au clair de lune”, “L’enfant sorcière”, “Le brouillard”), sans pour autant tomber dans le cliché éculé de « la Bretagne, terre de contrastes et de légendes ». Autre trouvaille, sur le morceau « J’suis mort », il chante à l’aide d’un porte voix (comme Tom Waits avait pu le faire aussi sur « Chocolate Jesus »). On a presque alors l’impression d’écouter un vieux gramophone, et l’on tend l’oreille pour en saisir les crissements sonores.

Si « le style c’est l’homme », Thomas Fersen s’est, au long de ses albums, construit le sien de façon absolument imprévisible. Juste à côté de la ligne majeure, il creuse un sillon artistique qui va, au gré de ses envies. Sur les bas-côtés de l’existence, sur les sentiers de traverse, ce « Petit-Poucet » à la voix d’ogre ne souhaite pas forcément indiquer ou retrouver son chemin. On l’a comparé à tant de gens que c’en est vertigineux ; à un Charles Trenet moins bondissant, à un Boby Lapointe plus audible, à un Brassens tout autant égrillard (“Au clair de lune” le rappelle un peu). Mais Thomas Fersen n’est la copie, ou pire encore la caricature, de personne. Dans le croquis des personnages qui hantent ses chansons, il fait peut être simplement, en contrepoint, l’esquisse de lui-même.


Thomas Fersen, Je suis au Paradis, Tôt ou Tard, 2011

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Hassina Mechaï

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