Classique
Schubert dans tous ses éclats au Théâtre du Châtelet

Schubert dans tous ses éclats au Théâtre du Châtelet

03 February 2023 | PAR Eleonore Carbajo

Dernier acte de l’intégrale des symphonies de Schubert, au théâtre du Châtelet, avec l’interprétation de l’œuvre du compositeur par l’orchestre des Talens Lyriques, sous la direction de Christophe Rousset. Au programme ce mardi 31 janvier, la Symphonie n°5 ainsi que la Symphonie n°9.

« Ce répertoire romantique donne une grande cohésion à l’orchestre »

Lieu exceptionnel pour programme exceptionnel, Schubert est mis à l’honneur au Châtelet ; un compositeur cher à Christophe Rousset, qui considère sa composition comme « maîtris[ant] la forme tout autant que la palette de son orchestre pour atteindre à ces fascinantes et uniques architectures » (propos, recueillis par Priscille Lafitte).

Le public fourmille dans le parterre et dans les balcons du magnifique théâtre du Châtelet, pressé par la sonnerie qui signale le début imminent du concert. L’orchestre des Talens Lyriques entre alors sur scène, prêt à donner à voir autant qu’à entendre, la beauté des instruments d’époque des vents, ainsi que la merveille de composition de Franz Schubert. Le défi que représente ce répertoire romantique pour des spécialistes du baroque a nettement été rempli, les chefs de pupitre des cordes guidant du bout de leur archet tout l’orchestre vers une interprétation très juste et authentique de la partition de Schubert. Le chef aussi se prête au jeu, pour adapter sa gestuelle au répertoire en question et à la formation, notamment lorsque celle-ci s’enrichie de cuivres dans la Symphonie n°9. Mais sont toujours de mise la précision et la clarté de son geste, fluctuant avec le thème sans baguette.

Sans doute moins connues que les œuvres pour piano de Schubert, les deux symphonies interprétées ce soir, à savoir la Symphonie n°5 en si bémol majeur écrite en 1816 alors que le compositeur n’a que 19 ans, ainsi que la Symphonie n°9 en do majeur dites « la Grande » composée pour sa part à la fin des années 1820, n’ont rien à envier aux autres grandes symphonies du XIXe siècle.

La Symphonie n°5, maîtrise et caractère

En quatre mouvements, l’orchestre des Talens lyriques parvient à magnifier l’acoustique du théâtre du Châtelet, entraînant le public d’une partition élégante aux reflets préromantiques d’un jeune Schubert, à des passages emplis de caractère.

L’ouverture est flamboyante, et avec le jeu de reprises et de répétitions présent tout au long de l’œuvre, le public prend un certain plaisir à observer les musiciens, mais surtout le chef, qui rembobine le cours de la partition, tournant les pages du conducteur avec précision, pour délivrer à nouveau les extraits en question de la Symphonie, variant les nuances ou étoffant le jeu d’ornementations diverses. Pourtant, on est loin de s’ennuyer, du fait de la maitrise parfaite des instrumentistes, et notamment des pupitres de cordes, qui enchaînent les thèmes et contre-champs, guidés ça et là par les timbres des vents, qui magnifient et complexifient la mélodie, de leurs instruments d’époque. Une partition au thème élégant, reflet de la gestuelle de Christophe Rousset, lui aussi plus habitué à un répertoire baroque, mais qui considère le travail des symphonies de Schubert comme un stimulant pour la formation, menant à une « fraîcheur dans l’interprétation et un enthousiasme chez les Talens Lyriques », à une revitalisation de l’œuvre de Schubert en quelque sorte.

On passe de la précision de l’Allegro, qui semble toujours se jouer vers l’avant, en une seule et même phrase qui subit diverses variations aux teintes romantiques ; à l’entêtant accompagnement en doubles des violoncelles et contrebasses dans le deuxième mouvement, sur une métrique ternaire et cyclique, qui voit son apogée avec les poses de son des cors en arpèges. Avec le Menuet, troisième mouvement de la symphonie, on voit toute la subtilité du jeu des violons, qui grattent les cordes de leurs instruments du bout de leur mèche avec force de caractère. Les mouvements s’enchaînent à la perfection, ne laissant que très peu de temps au public, silencieux, de reprendre son souffle. Le quatrième mouvement est l’occasion de voir courir les doigts des violonistes sur leur manche pour cet Allegro vivace qui se construit sur le travail des contrastes, alternant entre accents ou au contraire unissons avec le pupitre de flûte, avant de finir dans un somptueux crescendo qui donne dès lors l’envie au spectateur d’applaudir, avant même la dernière note. Et c’est pour dire, les mains encore en l’air, le chef accueille d’un large sourire les applaudissements d’un public charmé, avant de se faufiler en coulisse pour l’entracte.

« La Grande », une symphonie difficile exécutée avec brio

Point final de l’intégrale des symphonies, c’est avec la Symphonie n°9 que s’achève cet hommage des Talens Lyriques à Schubert. Surnommée « la Grande », son nom parle d’elle-même : l’orchestre s’étoffe de clairons et saqueboutes prenant place à côté des timbales, pour une œuvre techniquement rigoureuse et plutôt longue. Jugée « difficile et pompeuse » par les interprètes de la première représentation posthume de la Symphonie, c’est avec brio que les Talens Lyriques s’attaquent à ce répertoire romantique. A l’entrée des cors se superpose la petite harmonie, et les entrées incisives des cuivres. On se surprend à fixer la timbalière, à se perdre dans les coups d’archets des violons, guidés par Gilone Guibert au premier violon. Un orchestre suspendu aux gestes du chef, où la précipitation de la partition est maîtrisée et subtile. Sans doute sa symphonie la plus novatrice, cette œuvre en quatre mouvements se joue en do majeur, à l’exception du deuxième mouvement Andante con moto en la mineur, au thème majestueux et à l’équilibre fragile où les phrases qui se succèdent ne semblent en former qu’une seule. Entre les mouvements, pas un bruit, mis à part la gymnastique des cornistes vidant l’eau de leurs instruments. Dans le troisième mouvement Scherzo, tout comme dans le Finale, cordes et cuivres se renvoient la balle, la vélocité de chacun saute aux yeux dans des arpèges ascendants et descendants qui jouent sur les nuances.

Les applaudissements parlent d’eux-mêmes, un public charmé par la partition schubertienne et par l’interprétation de Christophe Rousset et son orchestre, dans un lieu aussi merveilleux que celui du théâtre du Châtelet !

© Wikipedia Commons

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