Classique
“Paris était une fête” Benjamin Levy fait entendre les contemporains avec l’Orchestre d’Avignon

“Paris était une fête” Benjamin Levy fait entendre les contemporains avec l’Orchestre d’Avignon

06 April 2019 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Cela ne manque pas d’humour, réunir le camp du sud pour célébrer Paris ! Pour la première fois, Benjamin Lévy, chef permanent de l’Orchestre de Cannes Provence Alpes Côte d’Azur (voir notre interview) était donc à Avignon pour un programme 100% français et contemporain.

Nous avions laissé l’orchestre en majesté il y a quinze jours avec un programme romantique totalement spectaculaire, emmené par un étonnant duo composé de la pianiste Natacha Kudritskaya et du prodigieux chef brésilien Miguel Campos-Neto, qui comme Benjamin Levy ce soir, jouait avec l’Orchestre d’Avignon pour la première fois.  Philippe Grison, directeur de l’Orchestre a cette volonté de sortir des clous et de provoquer des rencontres percutantes. 

Ce soir, le septième rendez-vous de la saison symphonique ne manque pas à la règle. Cette fois, ce sont deux éléments que nous adorons qui sont exposés : la modernité et la radicalité.

Le programme s’ouvre sur Gabriel Fauré (1845-1924) Masques et Bergamasques, sans guest star pour le moment, on vous en parlera plus tard ! Cette partition délicieuse  est une suite d’orchestre en quatre tableaux : une ouverture allegro molto vivo, suivi d’un menuet allegro moderato puis d’une gavotte allegro vivo et qui se clôture sur une pastorale. Nous sommes au lendemain de la première Guerre et à la fin de la vie du compositeur quand la pièce est présentée, avec succès, en 1919 à Monte Carlo puis en 1920 à l’Opéra Comique.  Masques et Bergamasque s’inspire des Fêtes galantes de Verlaine et semble en tout point être une mise en musique des poèmes. On y badine, on y avance masqué. C’est ce que délicieusement fait l’orchestre en laissant la part belle aux cordes pour commencer avant d’installer une discussion franche entre elles et les bois. Le second mouvement nous glisse dans la mélancolie appuyée par la harpe et la pastorale est un tutti savoureux.

Ce programme bien construit est là pour nous préparer à entendre la complexité des écritures contemporaines. Nous sommes à la lisière du  XXe pour les deux premières pièces. La seconde est beaucoup plus complexe que la première. Fauré avait eu l’élégance de se faire comprendre et se place en opposition avec la radicalité  de Camille Saint-Saëns (1835-1921), Introduction & Rondo capriccioso en la mineur, interprété par la flamboyante Geneviève Laurenceau, supersoliste de l’Orchestre du Capitole de Toulouse,

Cette partition ultra technique a été écrite pour Pablo de Sarasate en 1863. Nous sommes ici à la fin du XIXe siècle, le printemps des peuples est fini et l’heure est aux constructions nationales pas toujours dans la douceur. Cette pièce très courte, 9 minutes, est une explosion.

L’ouverture aux violons en la mineur arrache les âmes. Tout le temps, la soliste est reine, portée par l’orchestre qui soit l’accompagne, soit se tait, soit joue pour lui laisser la place de reprendre. La soliste est mise à mal par  Saint-Saëns qui lui impose des accélérations, des syncopes et des rythmes coupés qui force la musicienne ( qui y arrive avec brio) de  visiter tous les registres de son instrument en ne lui laissant aucune autre solution d’entrer dans les intervalles pour éviter la chute.

 

Puis vient l’incident. La soliste tousse alors que l’orchestre s’apprête à jouer le très ardu et en même temps très drôle Le Bœuf sur le Toit « Ciné Fantaisie » op.58B de Darius Milhaud. Benjamin Levy en profite pour rendre hommage à son papa, pharmacien et glisse quelques conseils contre la toux. La décision est prise, et le programme chamboulé pour le meilleur. Les auteurs du XXe siècles attendront que l’entracte avancée se termine.

 

La coupure est astucieuse. Milhaud et Poulenc, qui suivra, sont nés à la toute fin du XIXe et sont morts après la Seconde guerre. Nous sommes face à un programme qui oppose dans un même mouvement, la modernité, deux générations. Et entre le duo de la seconde partie il y a du lien puisqu’ils faisaient partie du Groupe des 6 composé de Georges Auric (1899-1983), Louis Durey (1888-1979), Arthur Honegger (1892-1955), Darius Milhaud (1892-1974), Francis Poulenc(1899-1963), et Germaine Tailleferre (1892-1983).

Mais revenons au Bœuf sur le toit. Achevée le 21 décembre 1919, il s’agit, nous dit le chef d’orchestre, à l’origine d’une pièce pour violon et piano intitulée Cinéma-fantaisie et destinée à accompagner un Chaplin. Milhaud, nous raconte Benjamin Levy, l’a transformée, sur conseil de Cocteau, en ballet-pantomime. Ajoutons que  les décors et cartonnages sont de Raoul Dufy… Milhaud avait ramené du Brésil une chanson « O boi no telhado ».  Un refrain impossible, complètement arythmique où règne le chaos. L’orchestre joue en dissonance, par groupe et ensemble.La bande son est plutôt celle d’un film de Lynch ! L’avant-garde est totale ici et le surréalisme à la fête. Geneviève Laurenceau est juste incroyable au cœur de cette écriture impossible. La musique mêle des sambas désossées et des temps de symphonies harmonieuses, comme un havre de paix.

 

Le Bœuf semble s’opposer, en première lecture à Sinfonietta, la seule symphonie de Francis Poulenc composée en 1947.

Elle se part d’allures néo-classiques avec une structure académique : quatre mouvements dont un lent avant le final. Classique ?  Pas vraiment. La partition permet à Benjamin Levy de déployer sa direction en suspendant net l’orchestre à plusieurs reprises. C’est dans l’Andante cantabile que toute l’imagination, très cinéphile ici de Poulenc se déploie dans une finesse toujours et volontairement cassées par les cuivres.

Ce qui relie ces quatre hommes n’est peut être pas la fête que le titre du programme met au passé, mais bien leur regard sur leurs guerres que tous ont vu. Fauré a fait celle de 70 pour lever le siège de Paris, Camille Saint Saens opposé à la Commune s’est engagé dans la Garde nationale. Darius Milhaud fuit la France en 1940 car juif et se réfugie aux Etats-Unis, Poulenc lui a été mobilisé en 1918.

Dans ce programme c’est finalement Fauré qui fait bande à part avec une oeuvre vraiment festive. Chez les trois autres, le monde qui les entoure, blessé, est dans toutes les notes, souvent torturées par des ruptures de discours. Ce voyage dans la France musicale de la fin du XIXe et du début du XXe siècle est à saluer bruyamment.  

Et le prochain concert de l’Orchestre nous fera voyager dans un autre monde, outre-atlantique, le 24 mai pour La folle aventure de Brodway. Samuel Jean, le chef invité de l’Orchestre dirigera ce programme très jazz.

Visuel : ©ABN

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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