Nicolas Stavy à Lyon : qui va piano…
Les compositrices françaises reviennent à la surface depuis quelque temps, notamment grâce à de récents travaux de recherches universitaires, comme ceux de Jérôme Dorival (Hélène de Montgeroult, la Marquise et la Marseillaise, éd. Symétrie, 2006) d’ailleurs présent ce soir lors du concert organisé par l’association Frédéric Chopin. Quelle joie de voir revivre ces femmes occultées par les siècles et effacées par leur sexualité dans une société qui n’autorisait leurs œuvres qu’à titre de divertissement mondain! Leur talent n’a pourtant rien à envier à celui de leurs compatriotes, comme Bach ou Chopin, et cette soirée a permis de leur rendre un bel hommage et de faire découvrir des pièces très peu voire même plus du tout jouées. Un enregistrement est d’ailleurs prévu prochainement en Italie.
Pour commencer la soirée, la jeune Hélène Fouquart prend place au piano et joue Après une lecture de Dante de Franz Liszt. Cette élève au CNSMD de Lyon s’attaque donc à une œuvre magistrale car sans interruption durant une quinzaine de minutes. Bien que très talentueuse (elle a déjà remporté de nombreux prix et se produit également dans des lieux prestigieux), surtout face à un public qui n’est pas forcément très discipliné, on note la jeunesse de l’interprète qui souffre peut-être d’un manque de fluidité assez naturel compte tenu de son âge. Cela n’empêche pas de ressentir profondément la partition et de l’écouter raconter cette histoire de façon tout-à-fait convaincante.
Nicolas Stavy arrive ensuite sur scène pour interpréter avec une grande fluidité une sonate, deux études et deux nocturnes dans une première partie captivante où Hélène de Montgeroult côtoie l’écriture féminine de Frédéric Chopin : Sonate pour piano n°8 en fa mineur, oeuvre imposante en trois mouvements dont le central est une Aria de toute beauté, Étude pour l’énergie du jeu, dont nous ressentons ici tout le dramatisme, et Étude en la majeur n°110 qui laisse sentir un climat proche de la Nocturne. Logique alors de poursuivre avec Nocturne n°7 en si bémol majeur Opus 27 n°1 et Nocturne n°8 en ré bémol majeur Opus 27 n°2 de Chopin frappante par la richesse de son ornementation. Cet enchaînement permet d’entendre le caractère précurseur de la compositrice et l’on perçoit une certaine résonance schubertienne comme prend le temps d’expliquer le pianiste que l’on sent désireux de partager non seulement de la musique mais aussi de précieuses connaissances acquises lors de ses recherches.
L’entracte laisse ensuite place à un des deux cycles de douze pièces de Marie Jaell, « Les jours pluvieux » (pendant du cycle « Les beaux jours »). Nicolas Stavy nous explique alors qu’il n’en existe qu’un seul manuscrit à Strasbourg, et que nous assistons probablement à la création mondiale ce soir. De nouveau, le pianiste met tout son art au profit de la compositrice et l’on sent avec netteté toute la féminité de l’œuvre et les différentes variations parcourant les pièces. Il en sera de même lors des trois pièces de Mel Bonis qui viennent clôturer ce programme : Méditation, Romance sans parole et La cathédrale blessée qui date de 1915 et fait référence à La cathédrale engloutie de Debussy.
Ainsi, outre quelques très rares notes que l’on sent légèrement mangées lors de l’allegro moderato de la sonate de Montgeroult, le pianiste nous a offert toute l’étendue de son talent, tant dans le lento que dans le vivo ou dans de très nombreuses variations intelligemment enchaînées. Si le programme décrit Nicolas Stavy comme « l’un des meilleurs pianistes français de sa génération », il faut bien admettre que ce n’est pas exagéré ici et qu’au talent se mêle la réflexion et le didactisme.
La générosité est également de mise dans ce formidable jeu et nous pouvons en avoir un autre aperçu lors des deux rappels (Chopin et Schumann) durant lesquels la grande finesse de l’interprétation nous transporte.