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Mille et une notes, un festival mosaïque résilient et solidaire au cœur du Limousin

Mille et une notes, un festival mosaïque résilient et solidaire au cœur du Limousin

04 August 2020 | PAR Gilles Charlassier

Oasis dans un paysage musical estival dévasté par la crise sanitaire, le festival Mille et une notes propose une foisonnante semaine de concerts à une dizaine de kilomètres de Limoges, dans un cadre champêtre idéal en ces temps de contraintes épidémiques. Notre reportage pour le week-end d’ouverture en témoigne.

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La pandémie du coronavirus a fait des ravages, en particulier dans le secteur culturel, parfois négligé quand il s’agit de soutenir l’économie, alors qu’il en est un acteur bien plus essentiel que ne voudrait le faire accroire certain court-termisme libéral. Alors que nombre de manifestations estivales ont dû se saborder, faute d’une visibilité de la part des instances gouvernementales, et singulièrement d’un Ministère de la Culture aux abonnés absents, flou ou complètement hors-sujet, à un moment crucial pour la logistique estivale, Albin de la Tour et son festival Mille et une notes a d’emblée choisi de refuser la défaite et envisagé, dès la série de concerts diffusés sur la toile pendant le confinement par la chaîne Youtube du festival, une adaptation de sa programmation, au gré de l’évolution des contraintes sanitaires, et des protocoles décrétés par des autorités plus sourcilleuses sans doute que dans la surveillance des abattoirs et de l’holocauste industriel pseudo-hygiéniste de chair à bas coût.

Cela a conduit à une évolution de la forme d’un festival qui, depuis ses débuts il y a une quinzaine d’années, privilégiait des grands rendez-vous, à une fréquence généralement hebdomadaire au fil de l’été, au diapason des spécificités. Les jauges revues à la baisse et les impératifs logistiques ont conduit à concentrer l’ensemble des concerts dans le Parc du Mazeau à Saint-Priest-Taurion, un écrin de verdure à une dizaine de kilomètres de Limoges, à quelques pas des rives de la Vienne… et d’une ligne de chemin de fer secondaire – une voie unique sur laquelle circulent quelques autorails – , qui prend ainsi l’allure d’un campus musical et convivial, avec trois scènes de plein air, food-truck, mobilier et antiquités prêtés par Emmaüs, gel hydroalcoolique et gestes barrières que l’affluence sous contrôle et l’espace ne contrarieront pas. En huit jours, ce ne sont pas moins d’une centaine d’artistes qui se succèdent pendant une cinquantaine de concerts d’un peu moins d’une heure, de 11 à 21 heures – certains programmes étant dupliqués afin de permettre à davantage d’auditeurs de les apprécier.

Dans le foisonnement du week-end d’ouverture, on a ainsi pu entendre, samedi après-midi, deux des meilleurs talents de la nouvelles génération, le pianiste Alexandre Kantorow et le violoncelliste Aurélien Pascal. Les deux solistes, comme les mélomanes, apprivoisent sans doute l’acoustique du préau de la Scène 1 dans les premières mesures de la Sonate n°1 en mineur opus 38 de Brahms : si la complicité entre les deux musiciens est perceptible dès les entrelacs mélodiques de l’Allegro non troppo, le dessin du canevas pianistique s’épanouit plus franchement dans l’Allegretto et le finale, auquel l’archet répond avec une belle et sobre expressivité. L’équilibre de ce climat intimiste, qui évite toute inutile pesanteur, se retrouve dans la Sonate en sol mineur opus 19 de Rachmaninov,où l’on reconnaît d’ailleurs une citation de l’opus 119 du compositeur allemand dans le premier mouvement. La pulsation de l’Allegro scherzando contraste avec un Andante livré comme une ressac intérieur méditatif, avant la vitalité d’un Allegro où la virtuosité se fait précise et alerte, mais sans ostentation aucune. Une Valse sentimentale de Tchaïkovski offre, en bis, une prolongation de la sensibilité russe.

C’est ensuite sous les frondaisons de la Scène 2 que Rosemary Standley et ses comparses de l’ensemble Contraste revisitent les Lieder de Schubert dans un esprit tour à tour jazz, folk ou tango. Au fil d’une traversée doucement mélancolique, les rythmes et les harmonies habillent de couleurs inédites des pages tirés du Voyage d’hiver ou du Chant du cygne, tandis que les mots, sortis de leur gangue lyrique, résonnent avec la déclamation claire de la chanteuse, qui cite souvent, avant l’arrangement, la traduction en français du texte. Entre exploration et vertus pédagogiques, le programme permet de se familiariser autrement avec un des corpus majeurs de la musique romantique allemande. A 21 heures, retour sur la Scène 1 avec Alexandre Tharaud décline des variations autour de la relecture des formes antiques. Les trois extraits de la Suite Holdberg de Grieg, Prélude, Air et Rigaudon, caressent d’une tendresse sentimentale le souvenir de la suite baroque, dans une reconstitution qui fait penser à l’imitation par l’électricité de l’éclairage à la bougie. Le doigté soigné du pianiste français restitue la souplesse retenue et scintillante de la Sonatine de Ravel qui puise à la source des grands maîtres du dix-huitième siècle français. Enfin, ce sont aussi les modèles hérités de la musique germanique que Beethoven renouvelle dans la Sonate en la bémol majeur opus 110, qui, après quelques mots d’introduction non sans lien avec les commémorations malmenées par le virus, respire avec une appréciable clarté dans la construction et l’articulation pour faire aimer, même aux novices, la modernité solitaire de la dernière maturité du compositeur allemand.

Cette synthèse entre la curiosité et l’accessibilité est illustrée avec autant d’efficacité que de sympathique convivialité par Thomas Reznicek, sur la Scène 2 le lendemain à midi. Si la Suite n°1 en sol majeur BWV 1007 de Bach constitue un passage incontournable pour tout violoncelliste, le soliste n’hésite pas à nous confier le fruit de ses recherches dans les bibliothèques, à l’exemple des traits d’humeurs condensés dans les Quatre pièces caractéristiques de Félix Battanchon, ou encore, après la transcription du Chant des oiseaux par Pau Casals, des improvisations chromatiques de la Sonata 1959 d’Eliodoro Solima qui se termine sur la fluidité évanescente d’un Perpetuum mobile. C’est à un géant du violoncelle, Rostropovitch, que rend hommage le bis de la plume du virtuose russe, à la générosité ça et là un peu cabotine mais qui déploie toutes les ressources harmoniques de l’instrument. A 17 heures 30, sur la Scène 1, Lucienne Renaudin Vary s’associe au piano de Marie-Ange Nguci dans un relecture de quelques numéros du répertoire où l’adaptation à la trompette dévoile une authentique simplicité vocale, dans les Siete canciones de De Falla, ou la Pavane pour l’infante défunte de Ravel. Du même Ravel, Marie-Ange Nguci, en solo, livre Une barque sur l’océan concentrée, avant la texture brillante des cloches de Las Palmas de Saint-Saëns et le Finale de Kapustin. Après cet intermède, la trompette revient pour une Danse russe d’Oscar Boehme et une Marche viennoise enlevée de Kreisler.

Les enfants ne sont pas oubliés, avec des concerts d’initiation qui conjuguent imaginaire musical et séduction de la narration, tandis que les parents pourront aussi découvrir les vertus de la musicothérapie dans une des sessions d’un atelier tout au long de la journée. La mosaïque musicale de Mille et une notes, développée dans un esprit de convivialité qui ne sacrifie aucune des mesures sanitaires, s’affirme ainsi comme une oasis d’art et de solidarité au milieu de l’aridité culturelle de cet été pas comme les autres. Alors, si vous cherchez un coin de fraîcheur dans la canicule de ces prochains jours, c’est à Saint-Priest-Taurion que vous pourrez faire escale.

Gilles Charlassier

Festival Mille et une notes, Saint Priest-Taurion, jusqu’au 8 août 2020

© Festival Mille et une notes

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