
Lucas Debargue à la Philharmonie : Schubert en demi-teintes, Szymanowski brillant, du jazz en s’en allant
Le prodige du piano Lucas Debargue, 27 ans, révélé par le concours Tchaïkovski en 2015, donnait lundi 27 novembre 2017 un récital dans la grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris, consacré à Schubert et Szymanowski.
Le rituel du récital de piano laisse toujours songeur, tant l’arène que représente la salle bondée l’apparente aux jeux du cirque, voire à la foire, et c’est peu dire que c’est un spectacle où il y a parfois autant à voir, sinon plus, qu’à entendre.
Le pianiste à la mince silhouette prolongée de doigts fins et longs arbore une barbe bohème, ayant remplacé l’emblématique moustache des débuts, et sa démarche calme, traînante, légèrement en arrière possède un je-ne-sais-quoi de dégingandé. Assis enfin au piano, prenant le temps d’ajuster son siège, il se fige dans un silence pesant, qui s’allonge en prenant une dimension dramatique, tandis que son visage est comme parcouru de légères secousses électriques. La salle est à l’affût.
Sans doute est-ce un temps de méditation ou une dernière réflexion avant de se lancer, car c’est à rebours de l’ordre annoncé dans le programme que le pianiste entame la première partie de son récital, avec la charmante 13ème sonate de Schubert D 664 en la majeur, douce et estivale, au lieu de la plus sombre 14ème sonate D 784, qui sera donnée ensuite.
Certains membres de jurys de concours ou d’examen affirment qu’ils peuvent se faire une idée du jeu d’un pianiste à la seule contemplation de sa manière d’entrer sur scène. C’est sans doute excessif, mais il est surprenant de voir à quel point le jeu de Lucas Debargue dans Schubert est en retrait, délicat, peu sonore, peu affirmé, souvent ritardando et sotto-voce. Ici, l’intériorisation tourne à l’afféterie ou au maniérisme. En dépit de certains moments de brio où la virtuosité fait son effet, le chant est peu engagé et il ressort de ce Schubert encalminé pour ne pas dire chichiteux une désagréable impression de mollesse, de manque de gravité ou de franchise qui peinent à convaincre. La perfection du rendu donne à penser que cette approche est délibérée. On préférerait plus de simplicité et de passion, et que l’émotion soit davantage partagée.
La deuxième sonate de Szymanowski op.21, en deuxième partie, est plus intéressante. On sent le pianiste, cérébral assumé à la technique rodée, très à son aise dans cette musique redoutablement difficile, au contrepoint touffu et aux accents passionnés. Lucas Debargue se montre ici diabolique et échevelé, sec et percussif, audacieux face au défi à relever. L’allure à laquelle il aborde la fugue finale en témoigne. C’est un corps à corps fougueux avec le piano qui impressionne vivement.
En bis, le pianiste révèle une autre de ses facettes (il est aussi compositeur) et achève son récital par un standard de jazz sympathique et plaisant. On se rapproche de l’esprit des Schubertiades qu’on aurait aimé voir convoqué dès le début du concert.
Lucas Debargue, récital à la Philharmonie de Paris,
Lundi 27 novembre 2017
Franz Schubert, Karol Szymanowski