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[LIVE REPORT] Staline est mort , vive Anne-Sophie Mutter (Philharmonie, 10/03/2015)

[LIVE REPORT] Staline est mort , vive Anne-Sophie Mutter (Philharmonie, 10/03/2015)

12 March 2015 | PAR Stéphane Blemus

Souffle russo-finlandais sur la haute steppe philharmonique de Paris. Chostakovitch et Sibelius interprétés avec éclat par la violoniste Anne-Sophie Mutter et le Royal Concertgebouw Orchestra, sous la direction d’Andris Nelsons, en ce mardi 10 mars 2015.

[rating=4]

Depuis le premier tiers du 20ème siècle, le Concerto pour violon (1903-1905) de Jean Sibelius s’impose comme une œuvre majeure du répertoire, propice aux violonistes de haut vol. Ayant manqué sa vocation pour jouer de cet instrument, le compositeur finlandais a malgré tout consacré au violon son unique et seul concerto, et l’une de ses créations les plus célèbres.

Dès les premières notes de l’allegro moderato, Anne-Sophie Mutter a imposé son rythme. Une interprétation tout en douceur et subtilité pour ce morceau qu’elle affectionne particulièrement. Là où un David Oïstrakh passionné striait, virevoltait et fendait l’air en frottant son archet sur les cordes, avec les accents musicaux de l’Europe orientale, la soliste allemande a appréhendé l’œuvre comme une lente montée en puissance lyrique, sensible et dramatique. Moins de passion, mais non moins d’émotion. Et une virtuosité certaine. Autour d’elle, le Royal Concertgebouw Orchestra, l’orchestre symphonique royal d’Amsterdam, s’est animé sous l’impulsion du virevoltant chef d’orchestre letton Andris Nelsons. L’orchestre a pris toute la place que lui a laissée Sibelius dans ce concerto pour fusionner progressivement avec la violoniste. A la fin de cette première partie, triomphe a été fait à Anne-Sophie Mutter, qui nous a gratifié d’un rappel bachien.

Pour la deuxième partie du concert, le changement d’atmosphère a été radical avec la Dixième Symphonie (1953) de Dimitri Chostakovitch. Ou plutôt le roman à clés de Chostakovitch. Les clins d’œil à son style (le motif musical dit « DSCH ») et à sa vie intime (sa romance avec Elmira Nazirova) parsèment cette symphonie. Et sa date de création est encore aujourd’hui une énigme. Les experts ne savent pas dater précisément cette œuvre, composée vraisemblablement entre le milieu des années 1940 et l953.

Une œuvre est toujours le fruit de son époque. 1953 est l’année de la mort de Sergueï Prokofiev et de Joseph Staline. Liberté et oppression. Le dictateur soviétique est présent à travers la quasi-totalité du morceau. Comme l’avouera sur le tard l’artiste russe, son ombre menaçante est la toile de fond de cette œuvre. Cet air pesant ressenti à travers toute la Symphonie n°10, c’est le pas lourd et frénétique de Staline. Les accents de gaieté ne viendront qu’en final du quatrième et dernier mouvement. Un final qui met en avant espoir, individualité et liberté, et s’inscrit en faux contre la doctrine jdanovienne de censure systématique « anti-formaliste ».

Pour cette performance, le jeu de l’orchestre symphonique royal d’Amsterdam a pleinement fait ressortir toute la noirceur du moderato et de l’allegro, pour laisser place ensuite à la transition au son étonnant du cor de l’allegretto et à la délivrance de l’andante-allegro.

Une nouvelle fois, le spectacle est à la hauteur de la programmation époustouflante dans cette Grande Salle de la Philharmonie. En quelques semaines à peine, et alors que la façade de l’édifice n’est pas encore achevée, la Philharmonie de Paris s’est déjà imposée comme le lieu de référence du classique à Paris.

Pour aller plus loin :

Concerto pour violon de Jean Sibelius, Enregistrement d’Anne-Sophie Mutter avec la Staatskapelle Dresden sous la direction d’André Prévin, Deutsche Grammophon, 1995

visuel : deutsche grammophon

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Stéphane Blemus

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