
Biennale Boulez (1) : un piano quintessencié
Privé de public en raison de la crise sanitaire, la Biennale Boulez à la Philharmonie est présentée dans une version restreinte. Deux captations diffusées à partir du 19 janvier sur Philharmonie Live, résument l’essentiel de l’oeuvre pour piano du compositeur français, parfois aux confins de l’abstract.
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Si sa carrière de chef a sans doute favorisé la diffusion des œuvres pour ensemble et orchestre, le répertoire pour piano constitue une sorte de laboratoire expérimental que Boulez a privilégié dans ses premières années. L’édition 2021 de la Biennale Boulez offre l’opportunité d’entendre l’essentiel de ce corpus rare au concert, en particulier l’intégralité des trois Sonates, en deux programmes diffusés sur Philharmonie Live à partir du mardi 19 janvier.
Le contraste entre l’ascétisme théorique et un certain hédonisme sonore est illustré de manière éloquente dans le premier des deux concerts. Aux deux pianos, Dimitri Vassilakis et Hideki Nagano restituent la complexité éclatée de Structures II, où l’auditeur doit attendre la seconde partie pour reconnaître une continuité du discours, avec de très belles décantations feutrées à la pédale. La balance équilibrée entre les deux solistes s’attache à une lisibilité qui n’oublie pas l’expression. Ce tropisme se retrouve dans l’interprétation que livre Dimitri Vassilakis de la Sonate n°2, l’une des plus grandes pages de Boulez. Avec une belle souplesse dans le geste et l’attaque, le pianiste met en évidence la tension virtuose de la pièce, au fil des quatre mouvements, qui dépasse ainsi la littéralité technique. La difficulté n’interdit pas une certaine séduction, et celle-ci affleure ici sans jamais verser dans la trahison.
Ce sens du défi est plus nettement à l’oeuvre dans la Sonate n°3, qui constitue sans doute le point d’orgue du concert de Florent Boffard – qui vient d’ailleurs de l’enregistrer chez Mirare. Si les vignettes de Notations, indéniablement plus accessibles, ciselées avec soin, laissent affleurer une indéniable sensibilité, la dimension combinatoire de la Troisième Sonate s’affirme ici de manière quintessenciée, en une épure assez aride, dans une discontinuité assumée à rebours de l’habitude du flux musical, quitte à disperser tout repère pour l’auditeur. L’intérêt de cette lecture scrupuleuse, précédée d’une introduction didactique de la conception de l’ouvrage devant la partition étalée sur le sol, dans toute son arborescence graphique, réside également dans la création d’un fragment inédit de cette opus in progress et laissé inachevé, Antiphonie. Après Une page d’éphéméride qui témoigne de l’écriture plus généreuse de la dernière maturité, l’identité formelle de la Sonate n°1, en deux mouvements, est condensée avec une maîtrise et une rigueur remarquables, jusqu’à l’étourdissement de la toccata finale. Absolument assimilée, la pièce résonne ainsi comme un classique du répertoire, susceptible de recevoir d’autres approches, avec un sens de la fidélité peut-être différent. Cette diversité potentielle, au fond, se révèle plutôt rassurante.
Gilles Charlassier
Biennale Boulez, Philharmonie, concerts diffusés à partir du 19 janvier 2020 sur Philharmonie Live
©Philipe Gontier