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Anniversaire éclectique au Festival de Saintes

Anniversaire éclectique au Festival de Saintes

21 July 2021 | PAR Gilles Charlassier

Le Festival de Saintes célèbre cette année son cinquantième anniversaire, avec une programmation éclectique toujours placée sous le signe de l’excellence. Les deux rendez-vous de la soirée du 19 juillet, entre Baroque et musique américaine du vingtième siècle l’illustre admirablement.

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La musique ancienne et le répertoire dit « contemporain » constituent deux des polarités historiques du Festival de Saintes – même si bien entendu le Romantisme a voix au chapitre. Le programme plus que roboratif défendu par Stephan MacLeod et son ensemble Gli Angeli Genève – avec l’appoint de trois pupitres du Quatuor Terpsycordes pour Pärt – intitulé Stabat X4, en témoigne et offre un exemple éloquent où la pratique sur instruments d’époque n’interdit pas d’aborder le corpus du vingtième siècle.

Le chef suisse a choisi de confronter quatre visions contrastées, sur quatre cents ans, de la Mater dolorosa, poème du treizième siècle qui a eu une fortune exceptionnelle dans l’histoire de la musique. Dans l’acoustique réverbérée de la Cathédrale Saint-Pierre – bien davantage que celle de l’Abbaye aux dames –, la richesse de la polyphonie du Stabat Mater de Domenico Scarlatti, pour dix voix et basse continue à l’orgue, est mise en avant avec un indéniable souci de l’homogénéité, qui servira la décantation de l’opus de Pärt, pour trois voix et trio de cordes, créé à Vienne en 1985. L’impact d’une extase aux confins du dénuement est évident, grâce à des solistes concentrés sur la simplicité d’une écriture quasi hypnotique renouant avec des racines archaïques. La version de Palestrina, datant de la fin du seizième siècle, privilégie une concision rituelle ciselée de manière attentive par les ensembles choraux.

Enfin, celle qui est sans doute l’adaptation la plus célèbre, due à Pergolèse, s’attache davantage à une théâtralité et une individualisation des sentiments, répartie entre les deux solistes, la soprano Ana Quintans, d’une indéniable pureté d’expression, et le contre-ténor Carlos Mena, au chant frémissant. Si la nervosité des épisodes vifs souffre quelque peu de la réverbération, au point de précipiter la définition rythmique et mélodique, la direction de Stephan MacLeod fait ressortir d’ineffables beautés dans la retenue de largos ou d’adagios, à l’exemple du Quando corpus morietur, d’une exceptionnelle délicatesse, comme suspendue à l’attente de l’éternité.

Le second rendez-vous de la soirée revient à l’épicentre de l’Abbaye, avec une traversée dans l’univers de la mélodie américaine. Accompagnée avec un soin complice par Joseph Middleton, Carolyn Sampson [photo] ouvre son récital avec l’une des pages les plus connues de ce répertoire, Summertime de Gershwin, qu’elle livre avec une sobriété feutrée, en parfait synchronie avec l’atmosphère d’intimité musicale que la Britannique instille avec tact. Dans une thématique parente, A summer vacation fait redécouvrir une page de jeunesse de Copland, avant la séduisante variété des Six elisabethan songs de Dominick Argento, compositeur décédé il y a deux ans, sur des poèmes de l’époque shakespearienne.

Le sens de l’évocation de la soprano se confirme avec le mélodrame de Barber, Knoxville : summer of 1915, nimbé de souvenirs et de nostalgie, dans de suggestives teintes nocturnes servies par une élégance dénuée de tout maniérisme. Sur des poèmes d’Emily Dickinson, les quatre mélodies de Copland – Nature the gentlest mother ; Why do they shut me out of heaven ; Heart we will forget him ; Dear March – prolongent cette inspiration pleine de sensibilité.

Avec l’ironie agile de I hate music de Bernstein, le duo initie un changement d’atmosphère. Si Send in the clowns de Sondheim revient à une veine en demi-teintes chargée d’émotion contenue, I’ve got you under my skin et The physician de Cole Porter conjugue l’univers de la comédie musicale avec une humour enlevé, livré avec une économie de moyens de la part de l’interprète qui fait ressortir tout le suc des partitions, sans verser dans quelque sophistication inutile. Elle poursuit avec trois pages de Jerome Kernn autre figure du monde de la comédie musicale – Bill ; The song is you ; I can’t help lovin’ that man – avant de conclure par une des icônes du genre, Misty d’Errol Garner, où se confirme la savante alchimie imaginée par Carolyn Sampson, dans le plus pur esprit des secondes parties de soirée du Festival de Saintes, pointues mais jamais austères. Comme un épitomé du rendez-vous saintongeais.

Gilles Charlassier

Festival de Saintes, Cathédrale Saint-Pierre et Abbaye aux dames, concerts du 19 juillet 2021

© Marco Borggreve

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