Livres

Un vide insurmontable

26 August 2010 | PAR Cecile David

Pour son premier roman, Isabelle Monnin nous plonge dans “Les vies extraordinaires d’Eugène”. Un titre plein d’espoir qui dissimule un vide, l’incapacité à faire face à la disparition d’un être cher, arrivée bien trop tôt dans la vie de deux jeunes parents encore insouciants quelques semaines auparavant.

Un homme et une femme doivent aujourd’hui surmonter l’insurmontable, la perte de leur enfant. Décédé à peine une semaine après sa naissance, Eugène n’a pas eu le temps d’apprendre à parler, à marcher,  à lire. Eugène n’a tout simplement pas eu le temps de vivre. Ce petit être, ses parents n’ont pas eu la chance de le connaître, de le découvrir. Quel traits de caractère aurait-il développés ? Quelle aurait été la couleur de ses yeux ? Aurait-il été artiste, sportif, les deux à la fois ? Qui aurait-il fréquenté ? Les questions fusent dans l’esprit du père qui entreprend d’écrire les vies extraordinaires de son fils, inventées ou plutôt supposées par un mari qui tente tant bien que mal de redonner la parole à sa femme, aphone depuis la mort de leur enfant, le premier, le seul. Au fil des pages et des lettres qu’il nous envoie, le père nous fait part de son angoisse. Il s’est lancé un défi, écrire la vie qu’aurait dû connaître son tout petit pour garder une trace, un souvenir et lui prouver à lui et à sa mère que sa courte existence à malgré tout eu un sens et qu’elle mérite de nous être contée. Son désir le plus profond c’est aussi et surtout de redorer la vie de sa bien aimée, assombrie, presque méconnaissable depuis le tsunami qui a renversé leur vie (p. 11).

Page après page, on vit le calvaire qu’endure ce papa en manque d’inspiration. La volonté d’écrire l’histoire de son fils, il l’a sans aucun doute mais à quoi bon ? Comment s’y prendre pour ne pas tomber dans l’invraisemblable et le loufoque ? Comment rester digne d’Eugène ? Pourquoi lui inventer des vies extraordinaires ? Comme le souligne l’auteur, « les vies imaginaires ne sont pas toujours les moins raisonnables ». De façon froide et pragmatique la marathonien qu’il est opte pour sa propre méthode. Ainsi il part à la rencontre de l’équipe médicale qui soignait son bébé afin de dénicher la moindre bribe d’informations le concernant, le moindre petit détail physique ou caractériel, qui sait. Il part ensuite à la recherche de son hypothétique maîtresse d’école et des ces camarades de classe avec qui il aurait pu se lier d’amitié. Pas à pas il tente d’avancer mais malgré lui, il recule et bute toujours. Au final, il en vient à parler de son existence à lui, de son passé, de son enfance et de celui de sa femme. Après tout, comment raconter la vie d’un être qui n’a vécu que sept jours ?
Néanmoins, un mot résonne dans nos esprits après la fermeture du livre : Eugène. Sincère et volontaire, le papa héroïque aura réussi à encrer dans nos mémoires le prénom de celui dont on peut simplement dire qu’il s’appelait Eugène.

Pour son premier roman, Isabelle Monnin s’attaque ici à un sujet des plus sensibles et prend le risque de s’embarquer dans une histoire sans trame, sans issue. Que les lecteurs soient avertis, vous ne vous délecterez pas de récits fantaisistes ou farfelues narrant les aventures incroyables d’un jeune homme hors du commun. Non, le sujet est lourd, trop lourd pour en faire un conte léger. L’auteur choisit de nous parler en toute simplicité du deuil et de la difficulté qu’une perte peut causer. Et que dire quand il s’agit d’un être attendu et aimé pendant des mois à qui l’on doit dire adieu à peine quelques instants après son premier souffle. Le narrateur stagne, se reprend, replonge. Si nous étions dans un conte de fée, le couple s’en remettrait, la vie reprendrait, une page se tournerait. Si… Ils ont perdu un enfant et aucun autre ne viendra le remplacer.

Isabelle Monnin, “Les vies extraordinaires d’Eugène”, JC Lattès, 232 p., 17 euros.

“On en arrive toujours au même point. Par la fin ou par le début, l’histoire tient en à peine trois pages. Et encore, avec des répétitions.” p. 54

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Cecile David

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