Rentrée littéraire : Wiesel et son Sonderbuch
A l’âge de 80 ans, l’auteur de « La nuit », l’ « Aube » et « Les juges » (Seuil) n’a pas fini de conter. Il passe chez Grasset avec un des romans au suspense ménagé et à la psychologie raffinée dont il a le secret. Grave mais pas pesant, rempli de plus de vie que de mémoire, « Le cas Sonderberg » est le roman d’un jeune homme.
Yediyah est un juif grandi à New-York et qui s’est destiné à la critique de théâtre. Les planches sont sa maison, bien plus que la rédaction mouvementée du journal où il travaille. Sa femme, comédienne, est son seul amour, avec son grand-père, grand maître de sagesse et son père qu’il aime avec crainte et respect. Entre Tolstoï et ses collègues journaliste, sa vie s’écoule tranquillement, jusqu’au jour où – en rupture de journalistes spécialisés- son rédacteur en chef a l’idée de l’envoyer couvrir un procès aux assises de New-York. Un étudiant allemand, Werner Sonderberg, est accusé d’avoir assassiné son oncle venu d’Allemagne, Hans Dunkelman, lors d’une promenade dans les montagnes de l’Adirondacks. Le geste est inexpliqué, mais le jeune homme est le dernier à avoir vu son oncle en vie, avant de rentrer précipitamment à New-York. Le seul procès auquel Yediyah assiste est une véritable scène de théâtre : Sonderberg commence par plaider « non coupable et coupable », ce qui juridiquement n’existe pas. De rebondissements en coups de théâtre, et jusqu’au deus ex-machina final, ce procès transforme profondément Yediyah : « Je ne serais pas l’homme que je suis, traînant un cortège de fantômes derrière lui, si je n’avais pas assisté à ses délibérations avec une frustration mêlée d’enthousiasme » (p. 22). Que Sonderberg veuille revoir Yediyah des années plus tard lance chez le journaliste la machine du souvenir et de l’écriture…
C’est un plaisir de retrouver Elie Wiesel. Dans « Le cas Sonderberg », il donne le meilleur de son savoir-faire : agencer les psychologies avec toute la finesse d’un grand auteur européen, intercaler des contes juifs qui prennent des allures de paraboles, et ménager un suspense qui est sa marque de fabrique depuis ses débuts littéraires. Une certaine patine américaine vient aussi harmoniser cette intrigue dostoeievskienne, donnant à l’intrigue de l’espace pour se développer et aux personnages des couleurs vives à la Hopper ou à la Roth. Et puis, on sent dans l’écriture de Wiesel se mettant à la place d’un juif de la génération d’après-lui un certain apaisement. Lui qui, il y a dix ans, pouvait paraître si amer sur l’homme en général et sur les israéliens en particulier, semble avoir trouvé la paix intérieure. Ses descriptions d’amour et de fierté filiaux et de Jérusalem semblent montrer que certains fantômes peuvent parfois, non se taire, mais arrêter de crier jusqu’à rendre la vie impossible.
Elie Wiesel, « Le cas Sonderberg », Grasset, 16,90 euros.
« Les mendiants, ouvertes constamment la paume et la bouche, même si nul touriste n’apparaît à l’horizon. Aucun n’a répondu à mes questions mais tous m’ont fait des offrandes dont le poids pèse plus lourd que les meilleures répliques. Leurs histoires, je les recueille avec un sentiment profond de reconnaissance » (p. 70)