« Roman d’un berger » d’Ernst Wiechert : « Ta solitude est un alphabet d’écureuil à l’usage des forêts » (Edmond Jabès)
Roman de la nature publié en 1935, ce court texte se concentre sur un jeune berger amoureux de ses bêtes et de sa terre natale.
Michaël devient orphelin de père dès les premières lignes. Personne ne frappe impunément la nature et ce père, qui souhaitait abattre un arbre, se retrouve écrasé par la cime du grand sapin. C’est le début des responsabilités pour ce fils d’une veuve : à douze ans, les villageois lui confient le troupeau du bourg que l’on sent loin de toute l’agitation de la République de Weimar. Les villageois dépendent de ce jeune homme, de sa capacité à s’acquitter de sa tâche correctement ; et Michaël dépend aussi de la confiance accordée par les villageois. « Car le troupeau n’était pas seulement l’orgueil du village, sa richesse et, si modeste soit-elle, sa gloire, le troupeau était le village même, il était son être profond, il était comme l’odeur des toits de chaume, la fumée des cheminées, le parfum des tilleuls du cimetière. Il était quelque chose qu’on ne saurait comparer à rien et qu’on ne pouvait, d’aucune manière, séparer du sol natal. »
Inspiré par le texte, Franck Bouysse révèle dans sa préface : « au travers de ce texte, Ernst Wiechert exprime le caractère sacré de la nature, sa puissance. Fils de forestier, il la connaît par cœur et surtout par le cœur. Son éducation chrétienne exacerbe sa sensibilité au sacré qui laisse pénétrer à chaque instant dans ses yeux la beauté du monde sensible. » On sent en effet bien toute la religiosité qui imprègne le texte, et on pourrait alors reprendre les mots de Spinoza : « Deus sive natura » (« Dieu, c’est-à-dire la Nature »). Car Wiechert semble également avoir construit ses péripéties à la manière d’épisodes bibliques : l’altercation avec Laban, un pâtre du village voisin, est digne du combat de David et Goliath. L’arrivée au village de la peintre Tamara rappelle les grands épisodes de Tentation. Roman d’un berger est un beau roman, une ode à la nature, une réflexion sur le passage de l’enfance à l’âge adulte et les risques de la modernité.
« Son âme est pleine d’histoires. C’est la forêt qui les fait éclore, la solitude et le silence. Il n’a pas besoin d’apprendre des odes latines. Des semaines passent où la pluie tombe en bruissant sur les forêts et pendant lesquelles, étendu sous un pin dont les longues branches retombantes l’abritent, enveloppe dans son manteau de berger, il écoute les voix qui viennent des profondeurs. Des orages, formés sans bruit derrière les marais, se lèvent par-delà les hautes futaies ; du brouillard flotte sur la forêt d’aulnes, d’invisibles oiseaux lancent d’en haut leurs appels, et tout cela tombe dans son âme solitaire. Personne ne lui vient en aide, il est tout seul, avec Bismarck et Wotan et le troupeau et une petite fronde en coudrier. »
Roman d’un berger, Ernst WIECHERT, traduit de l’allemand par Sylvaine Duclos, Les Editions du Typhon, 116 pages, 15,9 €
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