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Quel humanisme sans Dieu ? Rémi Brague continue sa quête du propre de l’homme

22 March 2013 | PAR Yaël Hirsch

Après “Les Ancres dans le ciel” (disponible chez Champs, 2011), le spécialiste de la philosophie du Moyen-Age continue à interroger notre conception de l’homme dans un monde qui se veut résolument indépendant de toute métaphysique et de toute transcendance. Dans “Le propre de l’homme, Sur une légitimité menacée”, c’est la notion d’humanisme que Rémi Brague questionne. Un point intéressant sur ce vaste sujet, fruit de cours, délivré à l’Université de Louvain en 2011, mais où spécialiste du “Au Moyen-Age” n’exploite pas autant qu’il en est capable son domaine d’expertise et ses forces didactiques.

Partant du constat que nous conservons l’héritage des Lumières à défaut d’écrire un nouveau testament, Rémi Brague, note, après JN Gray que “Notre humanisme n’est au fond rien de plus qu’un anti-antihumanisme”(p. 13).  De l’humanisme, il donne une définition dynamique en 4 étapes qui vont du propre de l’homme dans le domaine du vivant (antiquité) à son caractère exclusif (y compris de Dieu), en passant par sa supériorité (liée à l’élection du Dieu monothéiste) et la conquête de la nature (le fameux arraisonnement décrié par Heidegger). A l’issue d’un “détricotage” Brague conserve la définition exclusive de cet humanisme, qui “continue à exclure la figure du divin” (p. 29). Le reste du livre n’est que le constat de l’échec de cet “humanisme athée”.  Un constat que Rémi Brague ne démontre pas et auquel il ne suggère pas de solution mais qui lui offre l’occasion de poser la légitimité de l’humain quand celui-ci est sans Dieu et d’exposer 4 visions de cette légitimité : dans l’œuvre médiévale des frères de la pureté,  dans la conférence de A. Blok “L’effondrement de l’humanisme”,  dans divers extraits de l’œuvre de Foucault que l’on découvre pas si cohérent et assez païen dans sa vision de la “mort de l’homme” et chez Hans Blumenberg, à qui Brague a emprunté la notion de “légitimité” de l’homme moderne.

Assez proche dans son questionnement de philosophes allemands ayant vécu le choc du nazisme comme Gunther Anders  et Hans Blumenberg, Rémi Brague se montre tellement pertinent et pointilleux quand il définit certains concepts comme la légitimité, qu’on est un peu déçu que le livre n’ait pas vraiment d’introduction et que le passage entre la critique de l’humanisme et la légitimité de l’homme ne soit pas mieux explicité. Ainsi, si pris séparément les chapitres du Michel Foucault et Hans Blumenberg sont passionnants, la transition entre les deux n’est pas évidente. Et le chapitre de Blumenberg s’intéresse plus à ce que ce dernier a fait du Moyen-Age qu’à celle de l’humanisme.

Si cet essai pose avec la clarté légendaire de son auteur l’épineuse  question de la légitimité de l’humain dans un monde sans Dieu, ceux qui apprécient la maestria avec laquelle le médiéviste passe des corpus du christianisme à ceux du judaïsme et de l’Islam, auraient espéré que Brague dépasse la thèse de Blumenberg grâce à ce savoir qu’il sait si bien transmettre. D’autre part, sa maîtrise de la dialectique et de la controverse auraient pu lui permettre d’étoffer son argumentation sur lien entre perte de Dieu et perte de l’humain. Or, le philosophe reste dans la perspective  très classique et semble-t-il déjà normée de la fameuse sécularisation de notre “occident chrétien”. Un essai qui pose une question clé, mais sans vraiment renouveler les termes du débat tels qu’ils sont ossifiés depuis 60 ans.

Rémi Brague, “Le propre de l’homme. Sur une légitimité menacée”, Flammarion, collection “Bibliothèque des Savoirs”, 255 p., 19 euros.

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

2 thoughts on “Quel humanisme sans Dieu ? Rémi Brague continue sa quête du propre de l’homme”

Commentaire(s)

  • Le «propre de l’homme» est celui de l’Homme Ancien. N’est-il pas de n’avoir aucun point d’évaluation fiable quant aux particularités de la sélection naturelle dont il a bénéficié ? Dans le fonctionnement inéluctable de la Nature sa dotation intellectuelle au caractère non limité lui aura permis, au-delà de toute espérance, une réussite factuelle, concrète, physiquement plus sûre de sa survie en tant que génome. Cette capacité, qu’il commence à peine à interroger quant aux effets secondaires des utilisations qu’il en aura faites, il lui attribue une aptitude quasi infinie à interroger, et à donner également réponse incontestable dans les questionnements métaphysiques qui l’assaillent. Or les objets de ces questionnements, en imaginant qu’ils puissent trouver réponse certaine, ne changeraient pas grand ’chose, si ce n’est fort indirectement, au statut de l’Homme-partie-de-la-Nature. En réalité la seule étincelle de génie, qui pourrait peut-être toucher le cerveau humain, serait justement d’abandonner le recours qu’il fait à ce viscère. Il est en effet inadapté ne fusse que, mais pas seulement, parce que la production psychologique qui l’accompagne produit une réfraction de la Pensée. Celle-ci dévie alors dans des univers indéterminés, sans plus aucun point d’appui dans une réalité qui lui échappe.
    L’Homme pourrait, si un hasard heureux l’y amenait (sera-ce bientôt nécessité ?), écouter, enfin, le message des quelques hommes qui au cours des millénaires ont rompu l’enchaînement de l’Homo Sapiens inachevé à son statut psychosomatique et, étant ‘’Libérés’’, ayant cessé de s’identifier (à la personne qu’on disait, dès l’enfance, qu’ils étaient), sont entrés dans l’état d’Homme Nouveau.

    April 11, 2013 at 13 h 06 min

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