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Quand Raymond Domenech se raconte

21 January 2013 | PAR Jean-Paul Fourmont

Raymond Domenech est l’un des personnages les plus connus de France. Pendant quelques six (très longues !) années, il a en effet été le sélectionneur de l’équipe de France de football avec le (glorieux !) résultat que l’on sait… C’est-à-dire un échec sportif retentissant et surtout une improbable « mutinerie », mais à Knysna il n’y avait pas Marlon Brando (voir « Les révoltés du Bounty », 1962). « Raymond la science » a dernièrement choisi de sortir de sa réserve pour raconter son expérience sud-africaine et (probablement)… préparer un éventuel retour aux affaires.

SOUVENIRS D’UN GROGNARD DE LA CAMPAGNE D’AFRIQUE DU SUD…

Tout le monde attendait avec impatience l’ouvrage de Raymond Domenech. Il faut dire qu’il y avait matière à déblatérer : le fiasco de la dernière coupe du monde, la grève des joueurs, l’affaire du bus, la guéguerre avec Nicolas Anelka, les échauffourées, etc. L’été 2010 avait été extrêmement riche, mais Raymond Domenech l’avait probablement rêvé autrement…

Deux ans plus tard, il publie « sa » vérité à lui. Il raconte sa nomination, ses premières mesures, ses méthodes, sa tactique, ses relations avec les figures emblématiques de l’équipe, comme Zinedine Zidane, Franck Ribéry, Nicolas Anelka, Thierry Henry, et aussi ses rapports avec les jeunes joueurs d’une génération perdue. Ses rapports tumultueux avec la presse sont également disséqués par l’immense technicien.

« TOUT SEUL »…

Bien sûr, « Raymond la science » refait le match, racontant « sa » vérité et occultant ce qui peut l’arranger. L’intérêt de ce témoignage est de faire comprendre comment un groupe de sportifs de très haut niveau a pu dévisser à ce point. Pour R. Domenech, les joueurs ont tout simplement confondu « coupe du monde et cour de récréation ». Eux, ils n’auraient pas saisi les enjeux d’une telle compétition.

Raymond Domenech estime avoir été lâché par tout le monde, à commencer par son employeur, la Fédération française de football. Il déplore par ailleurs une mauvaise communication avec les médias, c’est le moins que l’on puisse dire…

JEU DE MASSACRES

Ce qui est le plus intéressant, ce sont les portraits des joueurs que « Raymond la science » brosse les uns après les autres. A cet effet, avec une grande finesse psychologique, il se livre à un petit jeu de massacres de ses anciens joueurs. Pour lui, Nicolas Anelka « ne sert à rien, mais a une aura exceptionnelle, il a tué le groupe ». Quant à Samir Nasri, il « ne serre jamais la main de Ribéry (alors qu’ils ont longtemps joué dans le même club, l’Olympique de Marseille), il ne pense qu’à lui ».

Franck Ribéry est différent : certes « il dit toujours oui, mais il n’en fait qu’à sa tête et regarde avec mépris Gourcuff ». La star madrilène Karim Benzéma « maugréait sans cesse et disait de ses collèges (qu’ils étaient) tous des cons ». S’agissant de Yoann Gourcuff, Raymond Domenech explique, en tout simplicité, avoir eu « envie de lui mettre des gifles, (avec) son air de petit malheureux à qui on veut du mal ». C’est par Hugo Lloris que Raymond a été averti qu’une mutinerie se préparait. Mais si le capitaine de l’équipe de France admettait que les joueurs allaient « passer pour des cons », par peur selon son brillant coach, il ne parvint pas à « se désolidariser du groupe ».

Raymond Domenech, qui n’hésita pas à réclamer de généreuses indemnités après son limogeage, dénonce au fil des pages l’afflux démesuré d’argent dans le football moderne et l’absence de suivi psychologique des joueurs. L’entraîneur au si riche palmarès voudrait responsabiliser les joueurs, mais il oublie de fixer des objectifs.

LECONS DE VIE DE GROUPE

Si le témoignage de « Raymond la science » présente un quelconque intérêt, c’est celui de donner à voir la vie d’un groupe de sportifs de très haut niveau durant une compétition majeure. Après la coupe du monde de 2006, l’équipe de France s’est trouvée dépourvue, voir orpheline de son leader : Zinedine Zidane n’était plus là et cela s’est clairement ressenti dans la gestion et la dynamique du groupe.

A Tignes, lors d’un stage, les joueurs ont dû dormir par terre sur des matelas : comme le leader Zinedine Zidane ne dit rien, tous les joueurs se plièrent à la règle sans broncher, alors qu’ils sont habitués au luxe. Autre exemple livré par Raymond Domenech : trouvant une fois qu’il payait trop cher, William Gallas se fit bruyamment entendre, mais il dut finalement se taire lorsque Zinedine Zidane lui ordonna le silence. C’est ainsi que le groupe se calma.

Avec sincérité, Raymond Domenech livre ici « sa » vérité. Cela permet de comprendre certains ressorts des crises qu’il géra avec plus ou moins de bonheur entre 2004 et 2010. L’intérêt, c’est d’avoir des informations venues de ce microcosme qu’est l’équipe de France. Le lecteur pourra essayer de comprendre cette situation paradoxale, où des sportifs refusent de concourir pour leur pays, alors que tant d’autres aimeraient être à leur place. « Raymond la science » donne à voir un groupe qui se disloque et un manque flagrant d’autorité. Peut-être que les joueurs ne voulaient pas accepter un échec sportif qui paraissait inéluctable…

Raymond Domenech, Tout seul. Souvenirs, Flammarion, 2012, 400 p., 19,90 euros.

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Jean-Paul Fourmont
Jean-Paul Fourmont est avocat (DEA de droit des affaires). Il se passionne pour la culture, les livres, les gens et l'humanité. Contact : [email protected]

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