
“Péchés capitaux”, Jim Harrison : la rédemption par l’écriture
Pour lire un roman de Jim Harrison, mieux vaut avoir le foie endurant et le cœur bien accroché… L’ogre américain nous revient avec un “faux roman policier”, dont le titre nous attire déjà malgré nous : Péchés capitaux.
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Traduit en français par le fidèle Brice Matthieussent, Péchés capitaux emboîte le pas à l’inspecteur Sunderson, normalement parti pour vivre une retraite paisible dans un cabanon acheté dans le Nord Michigan pour se consacrer à l’art de la pêche. Las, point de répit pour l’inspecteur trop curieux, vite embarqué dans un tourbillon de meurtres graveleux orchestré par l’effroyable famille des Ames, qui fait régner la terreur dans la région depuis des générations.
En contrepoint, notre antihéros s’efforce de dresser le bilan d’une vie, entre réminiscences des grandes affaires de sa carrière et regrets lancinants sur l’échec de son mariage avec la pragmatique Diane. Il faut dire que les péchés de l’inspecteur sautent bientôt aux yeux : son bas-ventre l’agite plus souvent qu’à son tour, ce qui nous vaut de jubilatoires élans de lubricité que notre homme peine à contenir. D’autant qu’il trouve régulièrement de (jeunes) victimes consentantes…
Ceux qui ont aimé les grandes épopées du Harrison, et notamment Marquette à Vera Cruz, retrouveront son talent incomparable pour mêler les genres, versant tour à tour dans le roman policier le plus noir ou dans des analyses psychologiques bien plus fines que l’on ne pourrait s’y attendre. La peinture de la société rurale américaine fait froid dans le dos, même s’il s’agit avant tout du plaisir de l’auteur de ces lignes à abîmer sa plume dans les bas-fonds de l’humanité. D’autant que son inspecteur est loin d’être exempt de tout reproche, entre magouilles financières et inceste…
Au final, malgré toutes ces qualités, le volume pêche par un certain manque de structure, quelques difficultés à maintenir le lecteur en haleine jusqu’à la dernière page. Mais les amoureux du Maître ne bouderont pas leur plaisir, ne serait-ce que pour la truculence de la langue et les agapes coupables de l’inspecteur.
“Gourmandise. Je suis absous de ce péché, mais quand je savoure un bon plat, je le dévore jusqu’à la dernière bouchée. Je suis mauvais cuisinier. Les cordons-bleus, comme Diane ou Marion, ont toujours à la fois de la patience et de l’imagination. Même lorsque j’effectue une tâche aussi banale que couper de l’ail, je fredonne Le Chant des bateliers de la Volga. Malgré une bonne dizaine de tentatives, je n’ai jamais réussi à préparer une tourte au poulet sans que la croûte ne s’effondre dans la garniture. J’en ai pleuré de rage.” p. 109
Péchés Capitaux, Jim Harrison, traduit de l’américain par Brice Matthieussent, Flammarion, 350p., 21€, sortie le 2 septembre 2015.