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Pascal Quignard nous revient avec une femme sous influence

Pascal Quignard nous revient avec une femme sous influence

21 November 2011 | PAR Géraldine Bretault

Après Villa Amalia (2006), adapté au cinéma par Benoît Jacquot, Pascal Quignard récidive avec ce nouveau portrait de femme en marge de la société. Cette fois, la musique a complètement cédé la place au paysage.

Pascal Quignard est un auteur très prolifique, à l’érudition maintes fois démontrée au gré des entreprises littéraires auxquelles il s’est adonné. En 2002, il déclare renoncer à la forme romanesque pour se consacrer au cycle du Dernier royaume, dont le premier tome intitulé Les Ombres errantes lui vaut le prix Goncourt.

On peut se demander, dès lors, ce qui le pousse à réitérer cette tentative de dresser le portrait d’une héroïne jusqu’au-boutiste, lancée à corps perdu dans une quête d’absolu qui frise la déraison. À la différence de Ann Hidden, qui délaissait une carrière brillante suite à la découverte fortuite de l’adultère de son époux, Claire tisse la toile de son destin avec la plus sourde détermination, maîtresse obstinée du périmètre de son territoire. Le roman est découpé en cinq chapitres, les quatre premiers portant les prénoms des personnages principaux du roman avant le dernier dédié aux « Voix sur la lande ».

Claire et Paul sont frère et sœur d’adoption et ont vu leurs parents périr dans un accident de voiture suicidaire. Claire connaît une première rupture lorsqu’elle abandonne ses enfants après son divorce. À l’occasion d’un mariage en Bretagne, Claire retrouve une ancienne connaissance, Madame Ladon, qui lui permet de reprendre pied avec les lieux et les figures de son enfance. Malgré les réticences de son frère, Claire rompt tous les liens avec sa vie de traductrice à Paris et s’installe dans une ferme prêtée au cœur de la lande bretonne. Peu à peu, à mesure que la nouvelle vie de Claire s’organise, se dessine la silhouette de Simon, son amour de jeunesse dont elle n’a jamais guéri. Claire connaît une brève épiphanie en retrouvant Simon lors de brèves étreintes clandestines mais intenses, avant que celui-ci ne décide d’y mettre fin.

C’est alors que l’état mental de Claire sombre doucement dans un isolement glaçant, à la lisière de l’autisme. Durant des heures, des nuits entières, Claire parcourt la lande jusqu’à en modifier sa silhouette, affutée par les heures de marche soumise aux embruns et aux ciels changeants. En filigrane, ce changement de donne dans la relation entre le frère et la sœur permettra aussi à ce dernier d’affronter ses propres démons et de connaître l’amour dans les bras du curé de la paroisse. En un sens, l’enlisement de sa sœur est aussi la clef de sa renaissance.

La place dévolue au paysage dans ce roman est absolument envoûtante et prépondérante. Là où la pianiste de Villa Amalia renaissait grâce aux caresses du soleil italien et de la Méditerranée, Claire se cogne, se griffe et s’use en grimpant sans relâche des escaliers à même la falaise que ne personne n’emprunte plus, et se fond tant et si bien dans le paysage qu’elle y perd toute sensualité, toute énergie vitale, devenue minérale, bloc de granit parmi tant d’autres.

Même le retour dans sa vie de sa fille Juliette, devenue adulte, ne saura interrompre ce dialogue toujours plus serré avec la mort et le silence. Le récit se clôt sous les voix polyphoniques de la poignée de personnages qui ont observé sans le percer le mystère du destin de Claire. Un roman sombre, inquiétant, mystérieux, aux allures de légende bretonne.

 

« Un jour elle m’expliqua que le paysage, au bout d’un certain temps, soudain s’ouvrait, venait vers elle et c’est le lieu lui-même qui l’insérait en lui, la contenait d’un coup, venait la protéger, faisait tomber la solitude, venait la soigner. » p. 216.

 

Pascal Quignard, Les solidarités mystérieuses, Collection blanche, Gallimard, 272 p., 18,50 euros, 6 octobre 2011.

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Géraldine Bretault
Diplômée de l'École du Louvre en histoire de l'art et en muséologie, Géraldine Bretault est conférencière, créatrice et traductrice de contenus culturels. Elle a notamment collaboré avec des institutions culturelles (ICOM, INHA), des musées et des revues d'art et de design. Membre de l'Association des traducteurs littéraires de France, elle a obtenu la certification de l'Ecole de Traduction Littéraire en 2020. Géraldine a rejoint l'aventure de Toute La Culture en 2011, dans les rubriques Danse, Expos et Littérature. Elle a par ailleurs séjourné à Milan (2000) et à New York (2001, 2009-2011), où elle a travaillé en tant que docent au Museum of Arts and Design et au New Museum of Contemporary Art. www.slowculture.fr

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