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“Nique Ta Mère” comme une formule magique

“Nique Ta Mère” comme une formule magique

26 March 2012 | PAR Sarah Barry

En vente depuis le 9 février 2012, « Haine ta mère », roman autobiographique de Salomé Fortini, se partage entre la relation violente et toxique que l’auteure vit avec sa génitrice et celle, réconfortante et passionnée, qu’elle entretient avec Didier Morville, alias JoeyStarr. Une œuvre choc où le rappeur devient le guerrier gentleman qui tire sa belle des griffes de son passé.

Le problème lorsque l’on aborde un ouvrage autobiographique, c’est la part d’implication personnelle et émotionnelle, que le lecteur ne parvient pas toujours à partager. On se demande forcément pourquoi cette personne a pensé que sa vie intéresserait les autres. Dans le cas de Salomé Fortini, pas de doute a priori : elle a été la compagne de JoeyStarr. Et après ? Si ce dernier ne vous fait ni chaud ni froid, quel intérêt ? Ce récit parvient justement à développer d’autres pôles d’attraction : entre croyances et rituels magiques malgaches, drames familiaux et marabouts, c’est un univers culturel particulier que la jeune femme déploie devant nous.

Salomé Fortini naît en 1977 à Madagascar, au sein de la tribu Mahafaly. Ici les femmes n’ont pas vraiment le choix : « un Blanc pour la double-nationalité, un Malgache pour l’amour ». C’est du moins la double vie que se choisit la mère de Salomé, Vivi. Car pour s’élever socialement, il faut se trouver un Vahaza, un blanc : il est synonyme de confort matériel et éclaircira la carnation de la progéniture, lui donnant une meilleure chance dans la vie. Salomé a deux sœurs, la plus jeune étant la seule reconnue par Vivi comme fille de l’homme qui sert de père à la famille. Très vite, les violences et les incohérences de comportement de la mère, devenue alcoolique, rythment le quotidien de Salomé. Coups, insultes, crâne rasé, ongles coupés jusqu’au sang, gavage, exhibition, chantage, manipulations, obscénités, tabous et interdits, les anecdotes illustrant la folie sadique de Vivi s’enchaînent et se ressemblent. Personne n’intervient pour atténuer les souffrances des enfants, pas même leur famille paternelle, qui pourtant leur offre quelques instants de paix.

Sur toute cette première partie du livre qui relate l’enfance de l’auteure, on ne peut que compatir. Ce Vipère au poing version filles malgaches ne se raconte pas sur le même ton humoristique et détaché que le roman d’Hervé Bazin. La colère est dans chaque ligne. On est plongé dans une narration forcément subjective et pleine de ressentiment, qui laisse peu de place à l’imagination du lecteur : suivre cette compilation des meilleurs moments pervers de Vivi, pas grand chose à deviner, rien à ruminer sous la dent. Et c’est là aussi la force de ce « personnage » : la mère est un mur, dans lequel on ne trouve aucune faille, aucune faiblesse, presque rien d’humain. Quand la mère de Precious, dans le film éponyme, insulte, violente et gave sa fille, on comprend bientôt qu’elle la jalouse, qu’elle l’accuse de lui avoir volé son homme. Madame Rezeau, quant à elle, a subi la monstruosité de ses parents avant de développer la sienne propre face à ses enfants dans Vipère au poing. A l’inverse, Vivi est une brute sans visage, sans raisons (des raisons qui n’excuseraient rien mais qui atténueraient l’inconcevable). Peut-être la distance culturelle fait-elle barrage. Peut-être l’auteure entoure-t-elle d’un voile de pudeur les méandres noirâtres de l’esprit de sa mère. Mais si l’on regrette parfois de ne pouvoir comprendre les motivations de Vivi, on ressent bien le poids d’une réalité, qui n’est pas scénarisée ou romancée : on se heurte à une forme de folie.

Une légère ironie intervient tardivement, on la trouve un peu usée. Ironie amère qui sonne faux, qui révèle bien les détresses de l’auteure. Peut-être doit-on l’interpréter comme le libre-arbitre grandissant dans cet esprit qui vieillit. L’enfant laisse place à l’adulte : innocence perdue, second degré acquis. Enfin Salomé se rebelle. Elle est parallèlement en échec scolaire, sèche les cours, découvre les hommes, la mode et les boîtes de nuit. Sa vie commence dans le « monde de la fête » ; elle enchaîne les boulots, entre gogo danseuse et mannequin chez Elite, fréquente des stars qu’elle ne reconnaît pas, développe un certain dédain vis-à-vis de cet univers fait d’ « illusion, luxure et convoitise ».

Sa relation avec JoeyStarr s’étend ensuite sur toute la seconde partie du récit, avec un arrière-plan de roman-photo : défilent les compagnons, les appartements, les colocataires, les soirées, les amis, les petits boulots, dans un genre qui rappelle un peu le Hell de Lolita Pille. La temporalité de la narration a quelque chose de haletant, presque désagréable puisqu’on a rarement le temps de s’installer dans un moment, de s’imprégner d’une ambiance. Dans le même paragraphe, la narratrice emménage avec son amant, puis vit une anecdote à la Réunion, avant de repartir encore ailleurs. Il s’agit peut-être d’un parti pris : pas de mise en scène, pas d’intrigue pensée et développée, que du réel, comme un journal intime. Mais on voudrait connaître des instants plus sensibles, goûter à leur saveur, comme lorsque Salomé raconte sa séance de purification, nue dans l’océan : découverte de coutumes inconnues, qui ont quelque chose de vrai, d’ancestral. Cette ambiance mystique est souvent un plus, elle participe à l’originalité du livre.

Le rappeur est décrit quant à lui comme un homme attentionné et généreux. Un premier coup sous un pont n’a rien de féérique, mais Salomé Fortini est avec lui « la cendrillon du ghetto », « la pretty woman du hip-hop ». Il semble représenter à lui tout seul la double vie que Vivi recherchait : JoeyStarr est l’homme qui a des moyens, Didier Morville est le « petit chéri ». Il écrit une chanson pour elle, la couvre de cadeaux, l’emmène faire du jet ski à l’île Maurice. Mais leur flamme est impalpable sous la plume de Salomé Fortini, qui semble craindre encore de s’y brûler. Les séparations et les retours en grâce se succèdent, on devine les conflits entre deux caractères bouillonnants. Le ton est souvent neutre, on lui pardonne de s’oublier parfois en tombant dans un pathos trop personnel. On admire le courage de cette jeune femme qui se relève et trouve toujours un remplaçant à son job ou à son amant, malgré les drames, de la mort de son grand-père au suicide de sa petite sœur.

Ainsi, en dehors de quelques phrases efficaces et une poignée de formules imagées assez désarmantes, ce livre n’est pas un chef-d’œuvre littéraire, et ne prétend pas le contraire. Il tient plus souvent du journal intime et y gagne une authenticité poignante, où on découvre un destin brisé par les faiblesses des uns et des autres, une tranche de vie.

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Sarah Barry

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