
Linda Lê : une Lame de fond a déferlé
Auteure exigeante et précieuse, la romancière Linda Lê nous emporte avec son dernier roman Lame de fond, en lice pour plusieurs prix littéraires – le Goncourt, le prix Fnac, le prix France Culture – Nouvel Observateur. Un parcours à suivre…
En 2009, avec Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau, Linda Lê nous faisait un cadeau précieux : elle nous invitait à pénétrer le cénacle de ses émotions littéraires. On y croisait aussi bien Robert Walser, Stanilas Rodanski, Calaferte que Max Stirner, parmi d’autres écrivains confidentiels. Car Linda Lê aime les hommages, en bonne préfacière qu’elle est. Hommages à ses mentors d’écriture – elle nourrit notamment un attachement profond envers feu Christian Bourgois, qui sut reconnaître son talent -, mais aussi aux absents si présents. Son père, d’abord, dans une Lettre morte (1999), puis dernièrement, l’enfant qu’elle n’aura jamais, qui existe pourtant avec tant de force dans son monde intérieur. Les pages vibrantes de L’enfant que je n’aurai pas (2010) résonnent encore dans nos mémoires.
L’absence et la disparition sont donc une fois de plus au coeur de ses préoccupations, puisque son dernier roman – dédié à ses soeurs – retrace le parcours d’un défunt autrefois aimé et parfois détesté, Van, à travers le regard de sa femme Laure, sa fille Lou, et sa maîtresse Ulma. Il faut dire que des circonstances particulières entourent son décès : sa femme l’a écrasé « accidentellement » en voiture en pleine nuit. S’appuyant sur une structure complexe mais égalitaire, l’auteure distribue la parole aux quatre protagonistes dans le désordre, à quatre moments qu’elle intitule Au coeur de la nuit, Aube, Midi et Crépuscule. Autant de monologues intérieurs qui entrelacent les voix, sèment le trouble, et dressent le portrait d’un homme qui ne cherche ni rédemption, ni réincarnation, mais seulement à être entendu à sa juste mesure.
Linda Lê a dit par le passé qu’elle aime lorsqu’un texte « phosphorise », exemple parfait de son maniement du français, à la fois si précis et singulier. Née en 1963 au Vietnam, elle est scolarisée au lycée français et s’éprend très tôt des grands auteurs français et de notre langue. Ainsi, Linda Lê connait le prix de l’exil, ce renoncement à une langue maternelle qui n’a pas rempli toutes ses promesses, comme elle sait le chemin périlleux qui attend celui qui a décidé d’écrire dans sa langue d’adoption. Un roman qui vient couronner avec succès cette prodigieuse capacité d’adaptation, ainsi qu’une sensibilité à fleur de peau qui lui permet de disséquer les affres de ses personnages avec beaucoup de profondeur, dans un style riche et pléthorique.
« Je ne devais être présenté à la femme de Sylvère qu’à l’aéroport, une heure avant l’embarquement : c’était une rousse très maigre, un peu hommasse, coiffée à la garçonne, avec d’expressifs yeux verts, une voix de violoncelle et un sourire qui ne paraissait pas trop de commande. Elle m’inspectait de la tête aux pieds, l’air d’un maquignon évaluant un canasson. Je piquais un soleil, j’aurais voulu rentrer sous terre. Mon ballot à la main, je balbutiais quelques mots de remerciement, comme un gosse trop content d’être du voyage, même s’il venait de presser sa mère dans ses bras pour la dernière fois et qu’il allait s’exiler pour longtemps. » p. 93
Portrait de Linda Lê © Mathieu Bourgois
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