Fictions
« Toto perpendiculaire au monde » et « Les Chevals morts » d’Antoine Mouton : Un couloir infini et une séparation

« Toto perpendiculaire au monde » et « Les Chevals morts » d’Antoine Mouton : Un couloir infini et une séparation

22 May 2022 | PAR Julien Coquet

Plein d’inventivité, le troisième roman d’Antoine Mouton séduit par sa folie furieuse et son humour, tandis que les éditions La Contre Allée republient un court texte du même auteur, Les Chevals morts.

Comme vous vous en doutez, nous lisons beaucoup. Et nous écrivons beaucoup sur nos lectures afin de vous recommander la perle ultime. Parfois, nous sommes un peu tristes : tout se ressemble, les schémas narratifs sont vus et revus, l’histoire sans intérêt… et on en vient à douter de la nouveauté en littérature. Et pourtant, pourtant, des livres comme Toto perpendiculaire au monde d’Antoine Mouton redonnent espoir. Cinématographiquement parlant, c’est comme si vous aviez enchaîné les bons films, mais un peu trop classiques, et que vous tombiez sur un Quentin Dupieux ou un Luis Buñuel. La déflagration.

De votre lecture, vous serez constamment surpris. Antoine Mouton invente un monde fou, qui peut, à sa manière, rappeler nos très chers confinements. Unité de lieu pourrait-on dire, le couloir 133 accueille des couples derrière chacune de ses portes. Le couloir, sans fin, sans caractéristique particulière, se présente comme une ligne. De part et d’autre se trouvent donc des couples auxquels une fonction est attribuée (président, policier, sculpteur…). Dans leur chambre minuscule, chaque couple s’adonne à sa tâche sans trop se poser de question. Le quotidien se retrouve seulement perturbé par des lâchers de ballons (« Les ballons nous donnent des repères dans l’espace, un horizon dans l’aplani. Quand nous les apercevons nous savons où aller, que faire de nos corps, de nos vies. »). Toto, le narrateur, partage une chambre avec sa femme, qui refuse de lui dire son nom.

A cela, ajoutez une histoire parallèle, lue par Toto, celle de deux jumeaux, Otto et Hans, dont l’un ressemble à l’autre (la réciproque est fausse). Ces deux histoires, par une belle pirouette vont se croiser, sans que l’on vous en divulgâche le pourquoi du comment. Car Toto est perpendiculaire à son monde, au couloir 133 qu’il n’épouse pas. Conseillé par son ami sculpteur enfermé dans sa propre statue, Toto rêve d’ailleurs et de remonter l’infini du couloir.

On l’aura compris, toute la folie de Toto perpendiculaire au monde grise le lecteur. Après, déjà, les trouvailles d’Imitation de la vie, Antoine Mouton renouvelle son théâtre de l’absurde. Prendre conscience du couloir 133, c’est mieux se questionner sur la vie que nous menons et sur les règles de notre société car, par ajout subtile, l’auteur dérègle sa mécanique, notamment par l’arrivée surprise d’un nouveau couple. Et également par un meurtre qui, tel celui d’Abel par Caïn, ébranle profondément la communauté. Ces personnages sous cloche qui rêvent d’ailleurs, dont seule l’arrivée des ballons constitue un divertissement au sens pascalien, c’est nous. Assez ri, assez pleuré.

Extrait :
« Ici, au 133, on n’a jamais su comment les choses ont commencé. Certains se passionnent pour ce début dont ils ignorent tout, tentant de l’éclairer à la lumière d’hypothèses artificielles qu’ils passent toute leur existence à échafauder ; d’autres préfèrent envisager la fin : j’en fais partie. Quand je lis une petite histoire, si courte soit-elle, je veux aller au bout. Le présent m’échappe, je cours après autre chose que ce qui est. Je suis si pressé d’arriver au terme du récit qu’en le reposant je m’aperçois souvent que je n’en ai rien retenu. Je vis de la même façon, sans savoir ce qui m’arrive, épris seulement de ce qui m’arrivera – mais pourrait-on retenir le présent ? Et si on y parvenait, on en ferait quoi, de tous ces instants suspendus, chloroformés ? On les mettrait dans des boîtes, qu’on ouvrirait pour les curieux, auxquels on dirait : « Voilà ma vie ? » Et alors ? »

En parallèle, les éditions La Contre Allée publient de nouveau un court texte d’Antoine Mouton, Les Chevals Morts, paru initialement en 2013 aux éditions Les Effarées. En un peu plus de trente pages, Antoine Mouton retrace les pensées qui se bousculent dans la tête d’un homme en train de se séparer de sa compagne. Marqué par l’oralité, presque sans ponctuation, Les Chevals morts a été plusieurs fois monté sur scène, et on imagine le souffle de ce flux de conscience qui devait se déverser dans la salle . Le texte, à la limite de la poésie, se présente comme une supplication, “un “ne me quitte pas” contemporain”, comme le remarque Patricia Cottron-Daubigné. A la fois prière pour sauvegarder un couple qui se délite, Les Chevals morts est également un hymne à l’amour, à la sensualité et aux émotions qui valent la peine d’être vécues, malgré les “chevals morts” qui se dressent toujours entre deux êtres qui s’aiment (“il y a tellement de chevals morts entre les gens et entre les chemins qu’ils prennent”). La langue d’Antoine Mouton est toujours inventive, pleine de jeux de mots (“les chevals morts ne nous rapatatraperont pas”, “les chevals cataclopent mais ne galopent pas”), bref, d’une liberté folle.

Toto perpendiculaire au monde, Antoine Mouton, Christian Bourgois éditeur, 272 pages, 18,5 €

Les Chevals morts, Antoine Mouton, La Contre allée, Collection La Sente, 64 pages, 6,5 €

Visuel : Couverture de Toto perpendiculaire au monde

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Julien Coquet

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