Fictions
« Le Mot pour dire rouge » de Jon McGregor : Ce que parler veut dire

« Le Mot pour dire rouge » de Jon McGregor : Ce que parler veut dire

11 March 2023 | PAR Julien Coquet

Frappé d’aphasie, le héros du quatrième roman de Jon McGregor va parcourir un long chemin avant de peu à peu reprendre contact avec le langage.

Les pouvoirs de l’esprit humain peuvent-ils permettre à un homme ayant perdu la capacité de parler de retrouver les facultés du langage ? Tel pourrait être résumé, de façon un peu expéditive, le nouveau roman de Jon McGregor, Le Mot pour dire rouge, publié chez Christian Bourgois éditeur, comme les trois précédents romans de l’écrivain britannique. Pour autant, ce résumé occulterait deux éléments importants : d’une part, une première partie, « Penché / », qui se concentre sur une violente tempête en Antarctique, d’autre part, le parcours et les réflexions d’Anna, femme de Robert Wright, frappé d’aphasie. Car Robert, au début du roman, est en bien mauvaise posture : pris dans une violente tempête avec ses deux coéquipiers Thomas et Luke, Robert, alias « Doc », doit faire face aux éléments pour tenter de reprendre contact avec ses collègues, et rentrer à la Station K. Mais Doc fait une attaque, peine à marche, enchaîne les pensées confuses, ne trouve pas ses mots et, finalement, s’effondre. Noir. Fin de la première partie.

Les deux parties suivantes, « Tombé _ » et « Debout | », se concentrent sur le processus de reconstruction de Robert. Hospitalité à Santiago, Robert est rejoint par sa femme Anna et apprend que Thomas n’a pas survécu à la tempête. Frappé d’aphasie, « le nom donné à une vaste gamme de déficits du langage provoqués par des lésions au cerveau », Robert communique par des mots extrêmement simples, bute sur le simple fait de dire « non », se déplace difficilement. Accompagné par Anna, Robert retrouve le chemin de la maison et intègre un groupe réunissant des hommes et femmes frappés d’aphasie. Et Robert de réapprendre à communiquer comme il le peut, à la mesure de ce que son cerveau et son corps lui permettent.

Après Réservoir 13 (2019), finaliste du Booker Prize, Jon McGregor s’attaque aux répercussions tragiques d’un accident et sur la résilience de son héros. Plus intéressant peut-être, le roman traite des réactions de l’entourage proche de Robert, de ses enfants par exemple, qui, enfermés dans leurs travails, ne peuvent réellement aider, et de sa femme Anna. Le Mot pour dire rouge est le portrait d’une aidante, d’une femme qui doit mettre son activité professionnelle de côté tout en répondant aux mails urgents, qui se demande si elle va être à la hauteur, qui ne peut s’empêcher de cacher ses doutes et ses fatigues (« elle avait du mal à voir au-delà et à le considérer comme son mari, son partenaire, un homme qu’elle avait eu jadis envie d’embrasser »). Si la première partie centrée sur la tempête de neige n’arrive guère à intéresser, les deux suivantes sauvent le roman, un livre qui questionne le langage et sur ce qu’il peut, même chez un homme en pleine capacité de ses moyens : « Ils étaient là [en Antarctique] depuis trois semaines, à présent, et il ne s’y était toujours pas habitué. Il ne savait pas comment il le raconterait aux gens à son retour. Il n’avait pas les mots ».

« Elle dut changer les draps le lendemain matin parce qu’il avait fait des saletés en utilisant le bassin hygiénique. Elle dut l’aider à rouler sur lui-même pour sortir du lit et à s’installer dans le fauteuil. Elle a dû mettre une serviette sur le fauteuil parce que son pyjama était encore humide. Elle dut lui faire ôter son pyjama humide et laver son corps avec un linge imprégné d’eau savonneuse et un bol d’eau chaude. Elle dut le sécher et l’habiller de vêtements chauds avant que sa température ne baisse. Elle dut s’agenouiller pour lui enfiler ses chaussettes, puis pour lui introduire les pieds dans son pantalon. Elle dut le cajoler pour le persuader de remonter son pantalon tout seul : il glissa ses pouces dans les passants de la ceinture, puis se tortilla de chaque côté. Elle dut l’aider. »

Le Mot pour dire rouge, Jon MCGREGOR, traduit par Christine Laferrière, Christian Bourgois éditeur, 352 pages, 22 €

Visuel : Couverture du livre

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