“Les Aquatiques” d’Osvalde Lewat, beau roman d’éveil à soi et de révolte
Un pays imaginaire d’Afrique subsaharienne pour une plongée très réaliste dans la psyché d’une femme en crise d’identité. Un roman fort, vibrant sur l’émancipation.
Dès les premières lignes, de manière abrupte, la narratrice, Katmé évoque l’enterrement de sa mère. Les mots sont précis, brutaux. Ce choc, elle l’a refoulé très loin, pour se concentrer sur la belle vie que lui offre son mari, préfet, dont elle a eu deux enfants. De ses rêves, de sa jeunesse, nous ne savons d’abord rien. Katmé est devenue comme une page blanche.
Pourtant, dans sa vie bien rangée, une brèche subsiste : son amitié indéfectible pour Samy, artiste libre et dérangeant. Le préfet, Tashun, pour faire plaisir à sa femme, a accepté de financer l’exposition et d’acheter quelques œuvres. Engagé, sans peur, Samy est demeuré fidèle à leur jeunesse, là où Katmé s’est oubliée en route. Vingt ans après la mort de sa mère, les autorités annoncent que sa tombe doit être déplacée. Son mari, Tashun, y voit l’occasion de se mettre en lumière. Abasourdie, Katmé perçoit le cours des choses ordinaires comme à travers un voile.
Soudain, un engrenage terrible se déclenche. Son ami Samy se trouve accusé d’homosexualité. Dans ce pays d’Afrique, c’est un délit. Impuissante, Katmé voit sa vie, ses repères lui échapper. L’écriture de Osvalde Lewat est sèche, précise, tout en brutalité et tendresse. Abîmée, effacée d’elle-même, Katmé retrouve peu à peu ses émotions, sa personnalité pour tenter de se battre et d’exister dans un pays qui nie aux minorités leur singularité. Osvalde Lewat nous fait entendre la voix de cette femme qui, brutalement, se réveille.
Un très beau premier roman.
Extrait : “Lorsqu’on évoquait Madeleine, je devinais agacée qu’on attendait que je montre mon affliction, éternels regrets disent les plaques mortuaires. Personne n’aime passer pour un monstre, alors j’adoptais le masque convenu, on me consolait. De quoi ? Je les aurais giflés ! En même temps, comment assumer aux yeux des autres que j’avais choisi de m’occuper des vivants ? “Laissez les morts s’occuper de leurs morts” était peut-être la seule phrase que je ne récusais” pas du gavage judéo-dogmatique de Mama Récia, dont l’approche de la religion s’apparentait à celle des croisés.” (p. 74)
Les Aquatiques, de Osvalde Lewat, éditions Les Escales, 297 pages, parution le 19 août 2021.
visuels: couverture officielle du livre.