Fictions
L’éducation occidentale, le terrorisme sous le scalpel de Boris Le Roy

L’éducation occidentale, le terrorisme sous le scalpel de Boris Le Roy

05 January 2019 | PAR Amelie Blaustein Niddam

L’auteur de Au moindre geste et Du sexe reste fidèle à Actes Sud pour un troisième roman   extrêmement radical qui démontre que la littérature peut être elle aussi performative.

On le sait ou non en regardant la belle couverture d’Ade Adekola où comme chez Andy Warhol, l’artiste nigérian multiplie le visage d’une femme noire, les cheveux coiffés d’un turban, le titre, L’éducation occidentale est une référence claire à la mouvance terroriste Boko Haram dont le nom veut dire “L’éducation occidentale est un péché”. Ce roman est en réalité une seule phrase de 149 pages.

Une seule phrase oui. Qui n’a pas vraiment de début et surtout qui n’a pas de fin. Dans un geste très contemporain, quasiment chorégraphique, Boris Le Roy danse entre l’Afrique et l’Europe et entre le passé et le présent. La chronologie n’existe pas ici car tout se passe dans la tension entre le réel et l’imaginaire que subit son héroïne, Ona, qui doit confronter ses certitudes scientifiques à l’horreur de l’attentat qu’elle doit affronter, là sur le marché de Abuja. Elle croise au passage des interrogations sur sa place de femme dans un monde d’hommes, elle qui va là où aucun homme, ni aucune femme ne veut naturellement aller.

“Surréalisme, excès de « réalisme », comme si ce monde était davantage réel que celui de sa ville, Paris et ses boulevards haussmanniens où les proportions, les finitions et l’entretien étaient proches d’un fantasme, d’une utopie formelle, mais si loin de cette réalité; qu’est-ce que le réel finalement ?”

Elle bosse. Elle liste. Elle note .. tout. Froidement, hyper froidement. Un seul objectif : mettre l’affect bien loin. Mais voilà, le réel, au sens de “son” monde, va s’inviter et la troubler beaucoup, jusqu’à lui faire perdre le sens de l’ordre des choses.

Les meilleures feuilles de ce roman très atypique interviennent aux trois quarts dans un moment vraiment policier qui nous met en haleine. On ne vous en dira pas plus sauf peut -être qu’à ce moment-là, on reprend un peu espoir dans le genre humain. 

“Aider un état à adopter des normes internationales ne permet pas de lutter contre le crime en général”

L’éducation occidentale est un immense cri, continu et sans respiration, pour dire que oui, c’est la catastrophe. EI, Boko Haram, filles volées, filles violées. Comment aller bien ? Est-ce que lire le pire permet d’aller mieux ? Non. Mais le livre de Boris Le Roy permet un regard intime et personnel, à travers un personnage dont il est la voix off, sur ce phénomène mondial qu’est “l’attentat”. Nous français, lecteurs, traversés par Toulouse, Charlie, Le  Bataclan, Nice et plus encore, nous sommes comme elle très proches de ce marché dévasté. Nous comprenons, nous sommes dans le “déjà-vu”, le désormais familier.

Ce livre heurte par sa structure qui est absolument celle qu’il fallait au sujet. Ni début, ni fin.  Juste une parenthèse sombre qui nous plonge dans le travail morbide d’Ona, Agent scientifique de l’Office des Nations Unies. 

Un livre à l’écriture folle pour une histoire tout aussi folle. Pourtant rien de fou ici, juste la vérité vraie, tellement dure à dire et à affronter. Le Roy nous oblige dans ce court livre à la suivre à un rythme troublant, comme si nous aussi,  lecteurs devenus médecins légistes d’un monde post mortem,  nous, fantômes encore vivants,  nous demandions qui  a fait ça, convaincus que nous n’aurons jamais la réponse. Alors, comme dans Huis Clos, l’auteur, dans la tête d’Ona nous propose la seule solution possible : continuer.

 

 

Boris Le Roy, l’Education Occidentale, Actes Sud, Janvier 2019, 149 pages, 17, 50 €

 

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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