Fictions
« Le Magicien » de Colm Tóibín : Thomas Mann à travers les âges

« Le Magicien » de Colm Tóibín : Thomas Mann à travers les âges

24 August 2022 | PAR Julien Coquet

La biographie romancée du Prix Nobel de littérature 1929 nous refait vivre les grands moments de l’Allemagne et les prises de position parfois tiraillées de l’écrivain allemand.

Après s’être intéressé au maître Henry James, Colm Tóibín se penche sur l’une des plus grandes figures littéraires du XXème siècle, Thomas Mann. Et l’entreprise n’est pas des moindres puisque, sur 600 pages, l’auteur irlandais couvre toute la vie de l’auteur de La Montagne magique, des jeunes années passées à Lübeck à l’exil aux Etats-Unis, des premières nouvelles aux succès des romans.

Fils d’un riche commerçant de Lübeck, Thomas Mann se passionne très tôt pour la littérature, de même que son frère Heinrich. Quasiment répudiée dans le testament du père, la famille Mann s’installe à Munich, où le jeune Thomas murit le projet de devenir écrivain, loin du poste ennuyant qu’on lui a trouvé dans une compagnie d’assurances. Publié en 1901, le premier roman de Thomas Mann, Les Buddenbrook, connaît un certain succès, alors que Thomas n’a que vingt-six ans… Une discipline de fer conduira ensuite l’auteur allemand à enchaîner les succès (La Montagne magique, Le Docteur Faustus, « La Mort à Venise »…).

Colm Tóibín nous dresse le portrait d’un homme qui a vécu constamment en marge de la société. A lire Le Magicien, on se rend compte que Thomas Mann ne faisait vraiment partie de la société et de sa famille que la moitié de la journée, passant ses matinées à écrire. En perpétuel décalage avec le monde dans lequel il vit, on sent à quel point Thomas Mann est quelques fois surpris, voire incompréhensif, face aux événements d’ordre mondial qui se produisent sous son nez. Sa position belliciste lors de la Première Guerre mondiale le conduira d’ailleurs à se brouiller longuement avec son frère Heinrich, profondément pacifiste.

En plus d’être le portrait d’un homme, Le Magicien est surtout la description d’une fratrie. Car la famille Mann est immense : Thomas a quatre frères et sœurs, et fait six enfants à sa femme Katia. Chaque protagoniste fait l’objet des attentions de Colm Tóibín, et ce dernier ne peut que se régaler d’avoir une famille si folle et si pleine de vie. Le frère Heinrich Mann et les deux aînés, Klaus et Erika, participent grandement au paysage politique et littéraire de leur époque. On croisera d’ailleurs dans Le Magicien toutes les célébrités artistiques de l’époque : Alma Mahler, Arnold Schönberg (qui sert de modèle pour Le Docteur Faustus), Brecht…

La question de l’homosexualité (ou de la bisexualité) du Prix Nobel de littérature 1929 n’est également pas occultée, Colm Tóibín relatant les quelques expériences que Thomas Mann a pu avoir, et notamment la construction de sa nouvelle la plus célèbre, « La Mort à Venise ».

Si le style de Colm Tóibín est quelque peu décevant, très factuel, Le Magicien se démarque particulièrement par l’enchaînement des faits marquants de la vie de Thomas Mann, si bien que l’on ne s’ennuie pas une seconde, en traversant toute la première moitié du XXème siècle. Une biographie passionnante qui ne peut que donner envie de se (re)plonger dans l’œuvre du « Magicien ».

« Au moment de l’achat de la maison à Kilchberg, en parcourant avec Katia les quelques mètres qui séparaient la voiture du cabinet du notaire zurichois, il avait eu une conscience très claire de son statut. En le voyant, n’importe qui aurait reconnu un home de plus de soixante-dix ans habillé à la perfection, se déplaçant d’un air digne et résolu. Il avait sur lui un chèque bancaire équivalant au prix de la maison. Il était le père de six enfants, l’époux d’une femme qui s’était montrée impressionnante dans les négociations complexes avec les propriétaires au sujet de ce qu’ils leur laissaient ou non et de questions relatives au garage ; il était l’autre de nombreux livres écrits dans un style élaboré, qui n craignait ni les longues phrases ni les digressions multiples ; il était parfaitement à l’aise avec les noms célèbres du panthéon allemand. Un grand homme, à tous points de vue. Même son propre père aurait été intimidé. »

Le Magicien, Colm Tóibín, Grasset, 608 pages, 26 €

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