Fictions
« Le Baron Wenckheim est de retour » de László Krasznahorkai : Prix Nobel 2023 ?

« Le Baron Wenckheim est de retour » de László Krasznahorkai : Prix Nobel 2023 ?

30 May 2023 | PAR Julien Coquet

Dernier roman du plus grand écrivain hongrois, souvent pressenti pour le Nobel, Le Baron Wenckheim est de retour est à la hauteur des autres livres de Krasznahorkai, exigent, intelligent et prenant.

Il y a des romans a priori peu aimables, et c’est le cas de Le Baron Wenckheim est de retour lorsqu’on le tient dans ses mains pour la première fois. Une couverture sombre d’un train filant dans le brouillard englobe les plus de 500 pages du livre. Et, une fois le livre ouvert, la longueur des phrases saute aux yeux. Non pas des phrases à la Proust, petit joueur, mais des phrases qui s’étirent sur plusieurs pages. Dernier point qui pourrait doucher les lecteurs peureux : plusieurs romans de Krasznahorkai ont été adaptés au cinéma par Béla Tarr, cinéaste ô combien exigeant, comme Le Tango de Satan qui dure…7h30. Et pourtant, à la lecture de Le Baron Wenckheim est de retour, les difficultés sont vite levées.

A l’extrême est de la Hongrie, à deux pas de la Roumanie, une petite ville est en ébullition. Tous les citadins, et particulièrement le maire, attendent avec impatience le retour du baron Béla Wenckheim, parti en Argentine dès son plus jeune âge. Mais Wenckheim vieillit, et qu’il est criblé de dettes : le retour au pays natal est certes un choix, mais avant tout un choix de raison. Désargenté, le baron ne comprend pas l’accueil en fanfare qu’on lui réserve et va peu à peu doucher les espoirs de toute une communauté qui comptait sur lui pour financer de nombreux projets.

Force est de constater le génie qui habite Le Baron Wenckheim est de retour. Génie de la réflexion de ce que peut, et de ce qu’est, stylistiquement, la littérature. Krasznahorkai, dans ses longues phrases, multiplie les points de vue, mélange discours direct et indirect, se permet de passer d’un personnage à un autre. Une telle liberté de ton, si maîtrisée, force le respect, puisque toute cette alchimie ne se fait pas au détriment du lecteur. Même si les personnages sont pris de logorrhée (« impossible d’arrêter, d’arrêter de parler, de ce qui était arrivé à l’un, de ce qui était arrivé à l’autre, avaient-ils des choses intéressantes à raconter ? bien sûr que non, puisqu’il ne leur arrivait jamais rien d’intéressant, ni à l’un, ni à l’autre, mais cela ne les empêchait pas de parler »), le lecteur ne se perd pas dans ce déluge de paroles.

Au-delà de l’aspect stylistique, le livre est admirablement construit par ses personnages (le baron Wenckheim, un mystérieux professeur, Marika, le maire, le directeur de la bibliothèque…) et par ses lieux typiquement représentatifs d’une ville de taille moyenne (mairie, bibliothèque, hôtel, restaurant, club de billard…). Tel le chef d’orchestre démiurge qui ouvre le livre, Krasznahorkai joue avec ses personnages comme dans un laboratoire. Cette communauté, plutôt renfermée sur elle-même, semble contenir les principaux maux de la Hongrie contemporaine : peur de l’étranger, et donc de la crise migratoire, fausses amabilités, religion hypocrite, etc. Et l’auteur de régler son compte au peuple hongrois dans les dernières pages du livre. Plutôt désespérant mais non dénué d’humour, Le Baron Wenckheim est de retour est certes exigeant, mais avant tout passionnant.

« Comment peut-on avoir déjà tout oublié ? se demanda la secrétaire de mairie alors qu’elle attendait le retour de l’épouse du maire et consultait régulièrement sa montre (elle ne devrait plus tarder), en l’espace de quelques jours, tout avait basculé, pire encore, tout s’était complètement détraqué, jusqu’ici, il y avait toujours eu de petits incidents, puisqu’il se passait toujours quelque chose, il se passe toujours quelque chose était son expression favorite, mais il n’y avait aucun mot pour décrire ce qui s’était produit ces derniers jours, en y repensant, eh bien, par exemple, il y avait ce qui était arrivé à monsieur le professeur, cette horrible histoire, dont le grand public n’était toujours pas au courant, qui s’était, paraît-il, déroulée au-delà de la route de Csokos, dans cette abominable Ronceraie, et puis il y avait eu ce gigantesque incendie, qui s’en souvenait encore ? personne, ce qui s’était passé par la suite avait tout éclipsé, qui se rappelait de la fille de monsieur le professeur et du cirque qu’elle avait fait, personne, parce qu’après il y avait eu toute cette agitation autour de l’arrivée du baron… »

Le Baron Wenckheim est de retour, László KRASZNAHORKAI, traduit du hongrois par Joëlle Dufeuilly, éditions Cambourakis, 528 pages, 27 €

Visuel : Couverture du livre

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Julien Coquet

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