Fictions
[Critique] Dominion de CJ Sansom aux éditions Belfond

[Critique] Dominion de CJ Sansom aux éditions Belfond

25 June 2014 | PAR Audrey Chaix

414quCwGVsL._

Imaginons un instant qu’en mai 1940, au lieu de se rallier derrière Churchill, l’Angleterre choisisse de céder à la menace nazie en signant un traité de paix qui lui épargne cinq longues années de guerre. Imaginons que Churchill, écarté du pouvoir, devienne le chef d’une résistance farouchement opposée à une entente cordiale entre l’Allemagne d’Hitler, et l’Angleterre qui n’est libre que dans la mesure où elle obéit aux ordres de Berlin. Imaginons qu’en 1952, la seule guerre froide qui existe soit entre l’Allemagne nazie et les Etats-Unis, alors que le conflit germano-soviétique n’en finit pas. Cette uchronie qui fait froid dans le dos, C.J. Sansom l’a montée de toutes pièces pour en faire le théâtre d’une passionnante histoire d’espionnage, proposant ainsi un roman de sept cents pages qui se dévore d’une traite. 

Car au milieu de cette tourmente historique fictionnelle, C.J. Sansom campe une belle intrigue d’espionnage digne des plus grands romans de guerre froide. David Fitzgerald est fonctionnaire dans les bureaux de l’office des dominions. Deux ans avant le début du roman, lui et sa femme ont perdu leur petit garçon dans un accident domestique. Alors qu’il s’éloigne de plus en plus de sa femme, David se plonge à corps perdu dans la résistance en devenant espion. D’autant plus qu’il cache depuis des années un lourd secret, celui de sa judaïté. Les choses se corsent alors qu’un ami de fac apprend, par hasard, un secret d’importance capitale, que les Allemands aussi bien que les Américains cherchent à découvrir à tout prix. L’espionnage de documents confidentiels se transforme alors en course-poursuite effrénée contre les services secrets allemands et britanniques pour mettre l’ami, et son secret, en lieu sûr.

Si l’intrigue montée par C.J. Sansom est palpitante, elle n’échappe pas, par moment, à quelques facilités qui manquent parfois de vraisemblance : c’est surtout l’atmosphère décrite par l’auteur écossais qui rend Dominion aussi mémorable. Dans une Angleterre froide et pluvieuse, aussi triste que la situation imaginée par Sansom, tout le poids de la collaboration immonde avec les Nazis semble peser sur les épaules de chaque personnage esquissé par l’auteur. Rafles de Juifs, séances de torture réalisées avec la bénédiction des services secrets britanniques, mensonges d’état et meurtres d’innocents : le malaise est constant dans un pays qui a renoncé à protéger ses citoyens pour devancer les demandes d’un occupant qui ne montre pas son véritable visage. Difficile de ne pas comprendre que le régime de Vichy a largement inspiré Sansom – il l’écrit d’ailleurs dans une note historique très intéressante à la suite du roman. L’auteur brosse par ailleurs un portrait fort peu complaisant de ses compatriotes en donnant à voir une Angleterre collaboratrice et opportuniste.

Dominion est donc un roman puissant, qui prend le prétexte d’une histoire classique d’espionnage pour créer une uchronie intelligemment pensée et documentée. D’autant plus qu’elle est servie par des personnages extrêmement bien soignés par Sansom, qui apportent une belle profondeur à l’intrigue. Un seul risque à prendre à la lecture de ces pages : la situation décrite par Sansom est tellement réaliste que l’on y croirait presque.

Dominion de C.J. Sansom. Editions Belfond. Traduit de l’anglais par Georges-Michel Sarotte. Parution : 17 avril 2014. 720 p. 23€.

Photo : couverture du roman

Michel Foucault, 30 ans après: portrait d’un des derniers philosophes français
L’interview stroboscopique : Thylacine
Avatar photo
Audrey Chaix
Professionnelle de la communication, Audrey a fait des études d'anglais et de communication à la Sorbonne et au CELSA avant de partir vivre à Lille. Passionnée par le spectacle vivant, en particulier le théâtre, mais aussi la danse ou l'opéra, elle écume les salles de spectacle de part et d'autre de la frontière franco-belgo-britannique. @audreyvchaix photo : maxime dufour photographies.

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration