
“Sois sage, c’est la guerre” d’Alain Corbin : des souvenirs (trop) pondérés ?
Souvent surnommé “L’historien du sensible”, tant il a contribué à renouveler le regard sur des sujets aussi inédits dans le champ historique que le temps qu’il fait, les parfums, ou encore le silence, Alain Corbin nous entraîne avec lui dans sa quête de ses souvenirs de toute petite enfance, sous l’Occupation.
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Fils d’un médecin mulâtre originaire des Antilles, et d’une mère normande, Alain Corbin aurait pu connaître une enfance sans histoire(s), dans sa Normandie natale, n’était-ce la rencontre avec la Grande Histoire sous la forme de l’Occupation. Le petit Alain a 4 ans en 1940, lorsque le père décide de protéger sa famille (Alain a aussi un grand frère), en les expédiant de Lonlay-l’Abbaye à Essay.
Si le récit est sensible, émaillé de photographies en noir et blanc du père de l’auteur, et nous surprend par les divergences sociales et politiques qu’il parvient à distinguer et décrire entre deux bourgs distants de 80 km seulement, l’ensemble laisse le lecteur sur sa faim par le manque d’ancrage dans un genre précis.
À considérer qu’il s’agit d’un essai historique, comme le laisse penser la réédition par le même éditeur dans cette collection, l’authenticité des éléments décrits reste soumise au très jeune âge de l’auteur au moment des faits. La génération des baby-boomers aura sûrement grand plaisir à retrouver des objets ou des détails propres à leur enfance, mais cela ne saurait suffire à en faire un grand récit.
Quant à l’approche sensible à laquelle nous a habitué l’historien, le sujet étant ici plus centré sur sa personne que ses habituels sujets d’étude, son récit se mesure alors en filigrane à d’autres auteurs qui se sont résolument placés du côté du matériau personnel pour reconstituer des époques révolues, et force est alors de constater qu’Alain Corbin n’a pas la plume d’un Guyotat dans son roman Formation, ni d’Annie Ernaux dans ses récits d’autofiction tels La Place, ou encore Pierre Bergounioux sur son Lot natal (Le Matin des origines) ou la Corrèze (Le Chevron).
“Considérant ces soldats qui couraient et qui tiraient des balles à blanc, je me souviens d’avoir éprouvé une certaine pitié ; non pas que je fusse partisan des “Boches”, mais parce que je pressentais que plusieurs de ces individus, que je considérais déjà comme des vaincus, allaient bientôt mourir.” p. 126
Alain Corbin, “Sois sage, c’est la guerre. Souvenirs d’enfance, 1939-1945, éd. Flammarion, collection Champs histoire, 160 p., 8 €, novembre 2016