
Les 10 commandements de l’ère numérique, de Douglas Rushkoff : n’est pas Dieu qui veut en la matière
En tant que gourou de la cyberculture et un des premiers théoricien de l’intéraction entre nouvelles technologies, médias et société, on peut s’attendre à juste titre à un livre intéressant, mais qui pêche parfois par un manque de cohérence, ce qui affaiblit son propos : n’est pas Moïse qui veut.
Le titre original, “Program or be programmed“, annonce d’emblée la situation critique dans laquelle nous nous trouvons : la nouvelle langue à maîtriser s’appelle désormais le “code”, et si vous ne l’apprenez pas, vous serez les analphabètes du futur. Un choix assez stalinien s’il en est qui a de quoi faire suer les plus anxieux ou paresseux d’entre nous. Or il s’avère que, bien que l’ensemble de l’essai recèle d’informations intéressantes et d’insights très pertinents qui semblent logiquement être justes, Douglas Rushkoff décrédibilise lui même son propos. En effet, après une introduction tonitruante sur le manichéisme qui semble planer au-dessus des sociétés numériques et le sort qui attend les non initiés au coding, 2 commandements posent problème. Premièrement le 3ème, qui préconise de “se laisser la liberté de ne pas choisir“, est justement en totale contradiction avec l’introduction. On fait quoi Douglas? On programme ou on programme pas? Et si on ne veut pas programmer, allons nous forcément être tous obsolètes? Sincèrement, mieux vaut ne pas tomber dans les jugements dualistes et les paradigmes binaires, il faut de tout, des gens qui codent, d’autres pas, et puis ceux qui s’en foutent. Parce que le code n’est pas tout. On en fait quoi de la littérature, des figures de styles, de la polysémie et des sens cachés? Ou encore des je 2 maux, même s’ils ne font sourire personne? Un algorithme n’a jamais fait de poésie, et n’a jamais fait pleurer de joie ou de rire quelqu’un.
Encore plus problématique, le commandement 8, intitulé “la vérité contre les mythes”. Il laisse en effet insidieusement croire que le réseau a la propriété magique de trier le faux du vrai et d’ainsi aboutir à la véracité incontestable des faits qui passeraient avec succès le test du réseau social. Ceci paraît également un peu hâtif comme commandement. Car ce que ne dit pas Douglas Rushkoff, c’est qu’Internet a certes la capacité de chasser (en partie) les mythes, mais les remplace aussitôt par les siens propres. Ainsi une nouvelle idéologie, un nouveau discours prend la place des anciens, et en somme, pour paraphraser Roland Barthes, une nouvelle parole, celle de la toute puissance techno-réticulaire et de l’idolâtrie machinique, voit le jour. Car les mythes se forment justement quand personne n’est capable de prendre une distance critique et que tous les moutons vont dans la même direction. Les mythes viennent justement rassurer l’homme sur le sens du monde que sa cognition trop limitée ne lui permet pas d’appréhender, et tout réceptacle, aussi rationnel soit-il, devient valable, surtout s’il est dans l’air du temps.
En somme, bien qu’intéressant, ce genre de discours mégalo et très réducteur devrait faire l’objet d’un 11ème commandement : “ne pas trop croire ceux qui annoncent des vérités péremptoires en se faisant passer pour le nouveau messie”. Ce que malheureusement fait trop souvent Douglas Rushkoff.
Les 10 commandements de l’ère numérique, Douglas Rushkoff, FYP Editions, 176 p, 21 euros