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#40ansLibé : débats sur le futur du journalisme au 104

#40ansLibé : débats sur le futur du journalisme au 104

13 December 2013 | PAR Yaël Hirsch

Après la publication du numéro futuriste des 40 ans, les week-end du 30 novembre, Libération continue d’étaler les festivités célébrant son anniversaire. Sans aucune superstition, ce vendredi 13 novembre, deux débats étaient organisés au 104, où une grande scène était plantée dans l’attente d’un concert #40ansLibé à l’affiche alléchante.

Dans l’esprit du numéro de journalisme-fiction proposé par Libé et encadré par Florent Latrive, le premier débat de l’après-midi, « 3001, l’odyssée de l’info ? Nouveaux supports, nouveaux usages » était marqué par des intervenants plutôt jeunes venus d’univers variés, dialoguant avec la responsable du New York Times à Paris.
Alors que les participants commentaient les relations entre le numérique et le bon vieux papier, Hubert Pédurand, consultant en impression numérique, a bouleversé les préjugés : “Le papier sera encore là dans 1000 ans alors que les tablettes n’existeront plus. Il ne faut pas encapsuler l’information dans un media en particulier. Ce qui fait la force de l’information, c’est bien le journaliste ». La question des modèles économiques a été évoquée, mais peu, et en lien avec cette question épineuse du maintien de la qualité des contenus. Ainsi, Antoine Nazaref, directeur des contenus France de Daylimotion a expliqué combien la qualité des vidéos permettait un temps d’attention plus long et comment se dispersait la publicité. A la fin du débat, Florent Latrive est revenu sur ce sujet en évoquant une réalité de modèles mixtes.
Jouant avec énergie le rôle de la jeune enthousiaste de la révolution numérique, Alice Antheaume, responsable de la prospective à l’école de journalisme de sciences-po, a insisté sur les potentialités formidables du web en termes de contenu. Elle a aussi évoqué les grandes tendances venir, notamment l’usage plus qualitatif de la vidéo et le fait que les écrans vont disparaître, que l’information va se greffer de plus en plus au corps, ce qui a fait trembler le public… Question contenu cependant, le constat a été que le journalisme a changé, ce qu’a confirmé la chef du bureau du New-York Times à Paris, Alyssa Rubin : moins de temps, moins de moyens plus de pression sur les journalistes et donc souvent moins d’enquête. Mais peut-être aussi parce que la notion d’information s’est élargie, selon Alice Antheaume, qui a suggéré que les infos du type « où je vais diner ce soir » est un bien dont les citoyens sont de plus en plus friands. Ce qui n’empêche pas de demeurer exigeant sur la qualité des investigation…

Dans le deuxième débat, Nicolas Demorand a posé la question « Journaliste, un métier d’avenir ? » à ses quatre interlocuteurs. Pour Franck Papazian directeur d’un grand groupe d’école de journalisme, oui, car on va régler par le numérique la question des modèles économiques et après on saura à nouveau financer l’info. Pour le directeur de la prospective à France Télévision, Eric Scherer, il y a de grandes difficultés et «il n’y pas d’avenir si on reste ainsi ». « Peut-on imaginer une démocratie sans journalistes ? », polémique De Morand. A cette question, après réflexion, Eric Scherer doit répondre non, que les journalistes doivent donner du sens. Pour Kim Wilsher, correspondante du Guardian à Paris, ce n’est pas le journalisme qui est cassé, mais le modèle économique. Elle a aussi souligné l’importance de l’adaptation, en rappelant le précédent de l’invention de la télévision. Johan Hufnagel, rédacteur en chef de Slate.fr a souhaité commencer par parler du pluralisme des métiers du journalisme. « Un peu plus vieux que Libération », il espère bien que le journalisme est un métier d’avenir. Mais « les choses bougent tellement vite avec internet », qui entraînent des modifications profondes des métiers du journalisme, qu’on ne peut pas prédire. Il y a aussi beaucoup de choses à inventer…

Pour Eric Scherer, certaines missions initiales sont transformées comme la collecte et la diffusion de l’info, par le fait que le journaliste n’est plus le seul à rendre compte du monde, et que l’actualité est dans la poche de tout un chacun à chaque instant, à travers de multiples écrans. Restent deux missions fortes pour le journaliste : vérifier, hiérarchiser et donner du sens rapidement à l’information. Émissaire du renouveau, il a enjoint les étudiants en journalisme dans la salle de préférer créer leur propre support répondant à un besoin plutôt que de rejoindre un vieux bateau de presse c(r)oulant. Pour Eric Scherer, buzzfeed est un modèle. Ses chats qui se cassent la gueule permettent de financer la vraie production d’information. « En donnant beaucoup de pâtisseries, ils ont réussi à donner aussi des brocolis, bons pour la santé ».

Même si à un moment Johan Hufnagel de Slate a essayé de diriger les esprits vers l’innovation et vers les nouvelles technologies à maîtriser, le débat a vite dérivé vers la question des modèles économiques, à commencer par Slate, tout gratuit, fonctionnant par la pub. Affirmant qu’il était facile d’être viable à partir du moment où en tout numérique on était « un cheval léger », “Huf'” a fait sensation et a pris le contreîed du pessimisme ambiant.

Questionnant toujours la question du business model, Kim Wilsher a parlé pour le Guardian qui est l’un des seuls grands médias anglo-saxon avoir conservé un contenu entièrement gratuit, ce qui a un coût et entraîne de fortes pertes mais qui assure une fréquentation de plus en plus importante.  Hufnagel a battu en brèche la « licorne » du New York Times. Fustigeant un système français qui refuse de créer ses propres modèles, il a dénoncé la fascination pour le fameux « paywall » du NYT, pas du tout reproductible en France tout simplement pour des questions de fréquentation : « On ne sera jamais dans ces modèles-là ». Pour Franck Papazian, si l’on inventait le medium que tous attendent en 2014, alors le public serait prêt à payer.

Enfin, pour répondre à la question “peut-on faire un journal pareil aujourd’hui qu’hier”, Demorand a dû avouer que “non”. N”ayant plus le monopole de l’information exclusive sur l’actualité les journaux ne peuvent plus se vendre 1.60 euros. La mutation d’une entreprise de presse ayant démarré dans le monde du papier et de la presse est très difficile. Même si les “marques” ont encore de la valeur et si les quotidiens ont gardé la place qui étaient la leur dans le monde de l’information. La place demeure, mais il n’y a plus de rente.

Et le directeur de Libération renvoyé la balle en demandant à Eric Scherer si la télévision n’est pas la prochaine victime. Qui lui a répondu que la TV est déjà dans l’œil du cyclone. Le public du JT du soir fond et il doit changer aussi de format, par exemple. Et il se réjouit que l’expertise vidéo de la télévision pourra lui permettre d’arriver en pole-position dans la production de ce type de format.

Avant les questions, F. Papazian a terminé par un plaidoyer sur une séparation entre marketing et information.On en a donc plus appris sur l’importance des stratèges qui imaginent le business plan. Mais n’avons pas beaucoup entendu parler de ce qui fait encore le sel du métier du journalisme… Heureusement à la fin, le public a posé des questions importantes comme celle du rapport aux experts, aux témoins et aussi celle de la méfiance de plus en plus grande que suscitent les journalistes.

Cet après-midi de débat a finalement rendu compte des deux faces de l’information aujourd’hui : l’exaltation de faire face à l’impact d’une révolution technologique et la difficulté à trouver un financement pour une information de qualité faite par des journalistes. Sur, ce, place au concert !

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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