Politique culturelle
La réforme du droit d’auteur : un raz-de-marée en approche ?

La réforme du droit d’auteur : un raz-de-marée en approche ?

25 September 2018 | PAR Antonin Gratien

Ce mois-ci les eurodéputés ont adopté un nouveau texte sur la réforme du droit d’auteur. Une avancée lourde de conséquences non seulement pour les géants de la Silicon Valley, mais aussi pour Internet tel qu’on le connaît aujourd’hui.

Alors que la libre circulation et le partage des données sur le web ont largement fait la joie des internautes ces dernières années, cette démocratisation doublée de la mainmise des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) ont poussé un certain nombre de politiques, d’éditeurs, et d’artistes à repenser le droit d’auteur à l’ère du numérique. Difficile en effet d’appliquer les politiques de contrôle en vigueur au monde si poreux du digital. Difficile, aussi, de faire la part belle à la liberté d’expression des utilisateurs du web tout en respectant scrupuleusement les droits patrimoniaux et moraux des artistes.

Il s’agit là d’un sujet sensible dont la mise en texte est particulièrement complexe, notamment en raison d’un travail de lobbying intense de part et d’autre. Alors que certains voient dans ce projet de réforme un processus qui conduirait inéluctablement à un état de censure (dont l’actuel filtrage des images “pornographiques” sur les réseaux sociaux donnent un aperçu), d’autres insistent sur la nécessité de protéger le travail artistique des réutilisations abusives sur le web.

C’est notamment le cas de Guillaume Prieur, directeur des affaires institutionnelles et européennes de la SACD. Joint par téléphone, il insiste auprès de nous : “Ce projet n’est pas un luxe, il relève de l’indispensable. On oublie souvent que le modèle auquel on aspire, le droit à rémunération proportionnelle, existe déjà en Italie et en Espagne. Seul ce droit permet de négocier avec les patrons du numérique, et donc d’éviter l’exploitation – même si certaines plateformes numériques, comme Youtube ou Netflix, sont déjà soumises à un certain nombre d’accords avec des structures telle que la SACD. Il s’agit d’une avancée considérable que l’on souhaite simplement harmoniser à l’échelle européenne”.

Après un premier projet de directive présenté par la Commission Européenne le 14 septembre 2016, et une version de texte rejetée le 5 juillet dernier, les eurodéputés ont finalement voté en faveur d’un nouveau texte en séance plénière le mercredi 12 septembre.

Joie du côté des artistes, journaux et agences de presse qui s’estiment victimes de vol, et franche déception de celui des grandes plateformes d’Internet. De manière globale, les géants du web devront payer davantage pour la réutilisation de contenus artistiques. Mais plus spécifiquement, deux articles sont particulièrement sujets à débat. Tout d’abord, le n°11 qui prévoit la mise en place d’un “droit voisin” qui assurerait aux magazines une rétribution lors de la réutilisation de leur contenu en ligne. Secondement l’article n°13, qui imposerait quant à lui des systèmes de filtrage en amont des publications sur les réseaux sociaux. Facebook, Instagram etc. seraient bientôt juridiquement tenus responsables pour toutes éventuelles atteintes au droit d’auteur, et donc contraints de mettre en place des algorithmes discriminatoires capables d’analyser chaque publication.

Concrètement, de pareilles mesures pourraient conduire à l’arrêt pur et simple de contenu Internet tels que les mème, les GIF, et toute autre forme de modulation d’œuvres par des particuliers. Un changement drastique qui nuirait indubitablement à ce que certains se plaisent à appeler “l’esprit Internet”, soit, entre autres choses, une marge de réinterprétation infinie des produits artistiques, ainsi que le ménagement d’espace de créativité et de collaboration entre internautes de tous bord.

Ainsi, alors que ce texte vise avant tout à sanctionner les politiques abusives des grandes plateformes web, pour beaucoup ce sont de toute évidence les utilisateurs qui seront les premiers à en payer les frais en se soumettant à des politiques draconiennes de filtrage sous peine de bannissement. Mais ici, Guillaume Prieur tient à nuancer : “Cette vision un peu binaire qui opposerait libertaires et commerciaux du web relève bien plus du fantasme que l’état de fait actuel. Bien sûr leurs intérêts divergent, mais on observe tout de même une forme de coalition. Évitons les caricatures hâtives. Des garanties substantielles seront évidemment mises en place par les plateformes du net pour protéger les droits des usagers”.

Il est de toutes façons encore trop tôt pour juger des retombées précises de ce texte. En effet, celui-ci est amené à être à nouveau modifié lors de négociations entre le Conseil de l’Union Européenne et la Commission. Nul doute que l’évolution du dossier sera surveillée de très près par tous les usagers du web puisque cette réforme pourrait bien, outre son application intra-européenne, annoncer l’Internet de demain.

Visuel : © libre de droit

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Antonin Gratien

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