Essais
« Dictionnaire des films » de Jacques Lourcelles : Deux pavés dans la mare

« Dictionnaire des films » de Jacques Lourcelles : Deux pavés dans la mare

11 March 2023 | PAR Julien Coquet

Publié pour la première fois en 1992, le Dictionnaire des films de Jacques Lourcelles connaît chez Bouquins une nouvelle édition, présentant cette fois-ci près de 3 500 films. Une somme.

Il est des ouvrages iconiques sur le cinéma, comme le Kubrick de Michel Ciment, ou les entretiens de Truffaut avec Hitchcock. Le Dictionnaire des films de Jacques Lourcelles, dès le début des années 1990, s’est présenté comme une somme pour tout cinéphile. Alors présenté en un seul volume, le Dictionnaire, qui connaît une nouvelle édition trente ans après la première, se découpe maintenant en deux volumes : des origines à 1950, et de 1951 à nos jours. Total : environ 3 000 pages.

Comme l’explique Lourcelles dans son avant-propos : « la principale raison d’être [de ce Dictionnaire] tient dans la qualité esthétique des films qui y figurent ». Rédigé par un homme seul au savoir titanesque et à la curiosité sans limite, le Dictionnaire regroupe près de 3 500 films, chaque notice se composant d’un générique (titre, date, durée…), d’un résumé (avec, parfois, un petit « trigger warning » pour éviter les « spoils »), un commentaire/une analyse du film et enfin une bibliographie. Lourcelles a un savoir et une curiosité qui dépasse largement les frontières d’un cinéma français et américain. Rien qu’en regardant la lettre P, les premiers films analysés viennent d’Italie (Paisa de Rosselini), d’Argentine (Pampa Barbara de Lucas Demare et Hugo Fregonese), de France (Panique de Duvivier), des Etats-Unis (Papa d’un jour de Harry Langdon)…

Si certains chefs-d’œuvre sont finement analysés (cinq pages sont consacrées à La Passion de Jeanne d’Arc de Dreyer), Lourcelles a surtout le chic de nous faire découvrir des raretés, tels ce Gibier de potence (Roger Richebé, 1951) « à voir absolument », Le Repas (Mikio Naruse, 1951) dont il loue « la précision et la finesse de la mise en scène » ou encore L’Expédition du Fort King (Budd Boetticher, 1953) dont il parle comme un « western brillant et attachant ».

Jacques Lourcelles ne se prive pas non plus de donner sa propre opinion, allant à l’encontre de la critique cinématographique, notamment à propos de la Nouvelle vague qu’il ne porte pas dans son cœur. Exemples : « Après A bout de souffle, le cinéma, comme blessé, sera plus triste, moins créatif, plus conscient de lui-même », « or l’originalité majeure – et incontestable celle-là – des cinéastes de la Nouvelle Vague, c’est que personne avant eux n’avait osé dire autant de bien de soi et autant de mal des autres » ou encore, à propos des Quatre cents coups de Truffaut, qui « n’a cependant rien d’une œuvre révolutionnaire ou même simplement novatrice ». Plus globalement, Lourcelles ne se prive pas de développer un côté « c’était mieux avant » car, selon lui, pour la période 1930-1960, « le cinéma – miraculeusement – se trouvait sans se chercher », et pour la période 1960-1990, « il se cherche, se cherche et se cherche encore » (soyons honnêtes, très peu de films récents sont commentés).

Il faut avant tout prendre ce dictionnaire comme un ouvrage éminemment subjectif, et non comme une Bible du septième art. S’il est écrit en Avant-propos que « les films dits de genres ont été largement représentés, puisque c’est à l’intérieur de ces genres que s’est très souvent affirmée la créativité du cinéma », on sera très surpris de ne trouver qu’un seul film de David Cronenberg, aucun film de Dario Argento et l’absence de Massacre à la tronçonneuse. Plus généralement, de grands noms manquent à l’appel, comme Michael Mann et Terrence Malick. Un ouvrage donc incomplet (mais personne ne demande à être exhaustif !) et qui peut parfois énerver par ses prises de position, mais surtout un dictionnaire riche d’un sens de l’érudition et d’une volonté de nous faire sortir des sentiers battus.

À propos de Les Gens de la pluie (1969) de Francis Ford Coppola :
« Fuyant le domicile conjugal alors qu’elle est enceinte, une jeune femme qui en a assez de jouer à la parfaite petite épouse américaine prend en stop un jeune sportif trépané et diminué mentalement. Elle s’attache à lui, mais causera involontairement sa mort. Ce mélodrame moderne et intimiste sur le thème de la rencontre de deux inadaptés et de deux désarrois est une œuvre à laquelle Coppola, qui en a écrit le scénario, tient beaucoup. Il y témoigne d’une sensibilité – notamment dans la direction d’acteurs – qu’ailleurs, il met le plus souvent en veilleuse. Avec une douceur insidieuse, plus persuasive que la polémique et l’agressivité, il fait le procès d’une Amérique impitoyable à ses inadaptés et à ses marginaux : à ses yeux, il existe une société, mais pas encore une civilisation américaine. Malgré certaines maladresses et effets inutiles, le film est très supérieur à la moyenne de ce que produit Coppola. »

Dictionnaire des films. Tome 1 (Des origines à 1950) et tome 2 (de 1951 à nos jours), Jacques LOURCELLES, Bouquins, 1376 pages pour le tome 1, 1600 pour le tome 2, 33 € chaque tome

Illustration : Couverture du Tome 1

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Julien Coquet

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