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E. Morgan : “Tous les vivants”,  un douloureux huit clos

E. Morgan : “Tous les vivants”, un douloureux huit clos

07 April 2020 | PAR Jean-Marie Chamouard

L’écrivaine américaine C.E. Morgan décrit la vie d’un jeune couple dans une ferme du Kentucky. Elle réalise le très beau portrait d’une jeune femme confrontée à l’âpreté de son existence et habitée par l’amour de la musique.

Orren rêve de posséder une ferme, Aloma de mener une carrière de pianiste. Ils s’aiment. Lorsqu’il apprend la mort accidentelle de sa mère et de son frère ainé, Orren retourne à la ferme familiale, bientôt rejoint par Aloma. C’est une vaste plantation de tabac, dans le Kentucky, au pied des Appalaches. La terre est desséchée par le soleil, la grande maison délabrée et le vieux piano inutilisable. Ce monde est étranger à Aloma. Orren a changé, il est plus dur, plus froid. La distance s’installe d’emblée dans le couple. Pour Orren le travail à la ferme est harassant et il doit affronter une grave sécheresse. Orren est habité par une hargne, par un besoin de vengeance comme s’il se réfugiait « dans la douleur du dernier survivant ». Le poids du passé de la famille d’Orren est lourd, symbolisé par la galerie de portraits des ancêtres présente dans le salon. Le quotidien d’Aloma se limite aux taches ménagères et jouer du piano devient un rêve inaccessible. Aussi elle t’elle transfigurée quand elle peut accompagner au piano l’office du dimanche puis travailler ses partitions à l’église. Elle est intriguée par Bell le pasteur qui devient, un temps, « l’invité permanent et discret de son esprit ». Peu à peu elle essaye néanmoins de trouver sa place auprès d’Orren et de s’approprier cette terre.

C.E. Morgan est une écrivaine américaine, qui a vécu dans les Appalaches et le Kentucky, là où se situe le roman, dans une Amérique rurale, isolée, plutôt pauvre. Le texte est écrit d’un seul tenant sans chapitres, les descriptions de ce coin perdu sont réalistes, le lecteur s’y projette aisément. La nature est très présente dans le texte, la description de la sécheresse puis de l’orage et du retour de la pluie sont saisissantes. Tous deux orphelins, Orren et Aloma sont des êtres blessés par la vie et par le deuil. Avec une grande finesse psychologique, C.E. Morgan décrit ce huit clos à travers les yeux d’Aloma. Son arrivée à la ferme, dans ce monde qui lui est étranger, est oppressante, angoissante comme l’est aussi la lente dégradation des relations du couple .Le récit est alors imprégné d’une tristesse permanente. La musique tient une place importante dans le roman : pour Aloma elle est sa raison de vivre, une bouffée de secours, une possibilité de libération. Ses retrouvailles avec le piano sont un moment émouvant, sensuel, lumineux. Au fil du récit Orren parait de plus en plus étranger, lointain et le lecteur rentre dans l’intimité d’Aloma. Apparaissent alors le désarroi profond d’Aloma qui éprouve « une haine douloureuse et stupéfaite de sa propre vie » mais aussi son courage et sa lucidité.

C.E. Morgan a écrit un roman intimiste où s’enlacent plusieurs thèmes : l’incommunicabilité dans le couple, l’impossibilité du deuil mais aussi la ruralité et la musique comme voie de dépassement de soi. Grâce à la qualité du récit, le lecteur sera touché par le sort d’Orren et d’Aloma .

C.E. Morgan, Tous les vivants, Gallimard, 241 pages, 19 euros, sortie en Janvier 2020 (pour la traduction française par Mathilde Bach).

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