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Comprendre Hopper par le dessin

Comprendre Hopper par le dessin

07 November 2012 | PAR Géraldine Bretault

À l’occasion de la rétrospective Edward Hopper présentée au Grand Palais jusqu’au 20 janvier 2013, les Editions Prisma nous livrent un ouvrage précieux pour comprendre l’œuvre du peintre de l’intérieur.

L’ouvrage, de grand format (21x 33 cm), richement illustré, a pour sous-titre De l’œuvre au croquis. En effet, il met en avant l’habitude assez curieuse à laquelle Hopper s’est prêté toute sa vie au côté de son épouse : reprendre ses tableaux avant leur sortie de l’atelier sous forme de croquis, afin d’illustrer ses registres de comptes. Josephine, son épouse, se chargeait de la description du sujet et des couleurs (elle aussi était peintre). Le livre nous donne à voir sur chaque double page une reproduction d’une page de ces carnets en regard de la toile correspondante. Si l’analyse des dessins préparatoires de Hopper est souvent intéressante pour comprendre ce qu’il cherche à faire ressortir (la tension entre les personnages et les objets est souvent accentuée dans la toile finale), les croquis post-création se lisent comme un prolongement de la réflexion de Hopper sur son travail.

Ainsi, quand il croque sa fameuse toile Gas dans ce registre, Hopper retrouve ses habitudes de graveur d’eaux-fortes, et apporte par son jeu de hachures un dynamisme insoupçonné à cette toile célébrée au contraire pour son immobilisme, et son caractère artificiel. Ailleurs, les indices livrés par Josephine soulignent le caractère insignifiant des moments que Hopper décrit, la solitude ou l’intimité banale des habitants des villes, reclus dans leur chambre d’hôtel : on apprend ainsi que la femme assise en nuisette sur le lit de sa chambre d’hôtel dans la toile Hotel Room n’est pas en train de lire un billet doux, ce qui constituerait une amorce de récit, mais un simple indicateur des horaires de chemin de fer…

Plus amusant, ces toiles souvent réalisées dans l’intimité de l’atelier de leur maison à Cape Cod (South Truro, exactement), ou dans l’atelier de Washington Square à Manhattan, avec Josephine pour modèle exclusif, deviennent au fil des ans des objets relationnels entre le couple, qui leur permet de poursuivre un savoureux dialogue par toiles interposées. Ils allaient même jusqu’à donner des prénoms aux personnages pourtant caractérisés par leur indétermination, leur valeur archétypale. Le célèbre tableau Conference at night, une des rares toiles « parlantes » de Hopper alors qu’elle fut créée en plein maccarthysme, prend une autre valeur à la lecture des indications de Jo : loin de représenter un éventuel complot communiste (comme l’a craint son premier acquéreur, au point de se débarrasser de la toile six mois plus tard), elle nous présente le séduisant « Sammy » en bras de chemise assis sur son bureau en conversation avec « Deborah, souveraine accomplie », l’objet vert sur la table étant un « rouleau de tissu ». Soit plus probablement une scène de bureau au crépuscule, comme Hopper aime à les croquer sur le vif, depuis les fenêtres du métro aérien qu’il emprunte quotidiennement.

Ajoutons que les essais au début de l’ouvrage sont signés par Adam Weinberg, directeur du Whitney Museum, qui abrite la plus importante collection d’œuvres de Hopper, et Brian O’Doherty, ami proche du couple, qui a notamment commis un documentaire sur Hopper. Enfin, Deborah Lyons livre dans son essai le contexte historique qui entoure les livrets de compte chez les artistes du XXe siècle.

Un ouvrage soigné, qui vous permettra d’approfondir votre visite de l’exposition.

 

Edward Hopper, De l’oeuvre au croquis, éditions Prisma, 140 pages, octobre 2012, 32 €

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Géraldine Bretault
Diplômée de l'École du Louvre en histoire de l'art et en muséologie, Géraldine Bretault est conférencière, créatrice et traductrice de contenus culturels. Elle a notamment collaboré avec des institutions culturelles (ICOM, INHA), des musées et des revues d'art et de design. Membre de l'Association des traducteurs littéraires de France, elle a obtenu la certification de l'Ecole de Traduction Littéraire en 2020. Géraldine a rejoint l'aventure de Toute La Culture en 2011, dans les rubriques Danse, Expos et Littérature. Elle a par ailleurs séjourné à Milan (2000) et à New York (2001, 2009-2011), où elle a travaillé en tant que docent au Museum of Arts and Design et au New Museum of Contemporary Art. www.slowculture.fr

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