BD
La légèreté, ou comment guérir par la beauté

La légèreté, ou comment guérir par la beauté

13 November 2017 | PAR Laetitia Larralde

A l’occasion des deux ans du Bataclan, le chanteur Babx a pris les rênes de la rédaction. Il sera sur la scène de la Cigale le 27 novembre pour présenter Ascensions, son dernier album. Sa direction a été claire : interroger la notion de relève dans le monde culturel. Comment se relever, ressusciter même, après avoir sombré dans l’horreur ? Catherine Meurisse nous raconte son retour à la vie.

Le 7 janvier 2015, les collègues et amis de Catherine Meurisse, dessinatrice de presse à Charlie Hebdo depuis une dizaine d’années, sont sauvagement assassinés. En retard à la conférence de rédaction, elle arrive au moment de la prise d’otages et assiste à la fusillade cachée dans un bureau voisin. Le choc est monumental, insaisissable. Le numéro des survivants de Charlie Hebdo sort la semaine suivante, et à ce moment-là son inspiration créatrice la quitte, son cerveau se vide, sa mémoire s’efface. Le choc traumatique a créé un état de dissociation, et le cerveau a provoqué une anesthésie émotionnelle, sensorielle et mémorielle. Catherine Meurisse voit tout d’un œil neuf, et face à l’immensité de l’océan elle pressent que la beauté est ce dont elle a besoin pour se reconstruire. Elle convoque la beauté naturelle et la beauté culturelle. La littérature, la peinture, la sculpture sont ses alliées. Elle recherche l’immuable, la stabilité et la pérennité, que plus rien ne s’effondre et disparaisse. Alors que tout le monde est Charlie, elle ne sait plus qui elle est.
Puis les attentats du 13 novembre 2015 surviennent, et la poussent à fuir à la Villa Médicis à Rome, où elle devient résidente pour un mois. Là-bas elle espère que le syndrome de Stendhal, qui provoque un état de choc face à une surcharge d’œuvres d’art, effacera le syndrome du 7 janvier. Elle cherche à être submergée par la beauté afin de pouvoir se reconnecter avec elle-même. Et parmi le foisonnement de l’art italien en scènes de décapitations, de sacrifices, de trahisons et de pleurs, elle y trouve les airs en extase des madones. Si les statues mutilées par le temps et les barbares lui font penser aux victimes des attentats, leur immortalité taillée dans la noblesse du marbre la touche. Le clair-obscur du Caravage la pousse vers la lumière. L’art lui permet de mettre de l’ordre dans le chaos, de le maintenir à distance afin de pouvoir retrouver sa mémoire, ses sentiments, de se défaire du filtre qui lui fait tout percevoir au travers des attentats.

La création de cette bande dessinée est le prolongement de son processus de guérison. Elle lui permet de s’exprimer et d’évacuer sa douleur, ses angoisses et incompréhensions. Le ton fluctue entre émotion intense et humour, et c’est dans les moments de calme que se pressent le mieux sa résurrection.
L’album cumule des styles graphiques divers : le dessin à la plume et à l’encre de chine que Catherine Meurisse utilise habituellement, mais aussi de l’aquarelle, du pastel, du crayon… elle se laisse guider dans la création par le chaos qui l’entoure et l’habite, l’exorcise et l’exprime par tous les moyens possibles. La narration reste légère, alternant entre souvenirs, hallucinations et questionnements intérieurs. Le processus de création même est témoin du désordre qui règne dans la tête de l’auteur, et permet peu à peu d’organiser le chaos.
La beauté a permis à Catherine Meurisse de se dégager du poids incommensurable qui lui était tombé dessus, lui a rendu sa légèreté, et lui a permis de se reconnecter avec elle-même. Elle a pu transformer le traumatisme en souvenir, le voir d’un peu plus loin au lieu d’être enfermée dedans. La Légèreté nous montre que l’art peut sublimer un traumatisme et le beau servir de thérapie.

La Légèreté, de Catherine Meurisse, Dargaud, paru le 29 avril 2016
Visuels © Dargaud

Marie Richeux: «L’inverse du mépris. L’élévation».
Julian Barnes, Quand tout est déjà arrivé : Une bulle de chagrin dans les airs
Avatar photo
Laetitia Larralde
Architecte d'intérieur de formation, auteure de bande dessinée (Tambour battant, le Cri du Magouillat...)et fan absolue du Japon. Certains disent qu'un jour, je resterai là-bas... J'écris sur la bande dessinée, les expositions, et tout ce qui a trait au Japon. www.instagram.com/laetitiaillustration/

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration