Cinema
Zorn III : la rencontre au sommet de géants musicaux

Zorn III : la rencontre au sommet de géants musicaux

24 March 2022 | PAR Geoffrey Nabavian

Barbara Hannigan apprivoise une œuvre spécialement composée pour elle par John Zorn, sous la caméra de Mathieu Amalric. Un film empli de vie, projeté pendant le temps du Cinéma du réel édition 2022.

C’est une pièce musicale folle signée par l’irréductible compositeur John Zorn, toujours en recherche et toujours prêt à dépasser les limites. Il l’a composée pour l’immense interprète Barbara Hannigan. Devant la caméra de Mathieu Amalric, l’œuvre va donc être travaillée. Tout l’enjeu est de savoir si la chanteuse lyrique va parvenir à la maîtrise qu’elle souhaite vis-à-vis des quelques moments qui lui posent problème – « moins de soixante secondes sur vingt-deux minutes » – et si l’auteur de la partition va se sentir lui-même satisfait du résultat.

Mathieu Amalric filme John Zorn et sa communauté de musiciens travaillant férocement les notes depuis douze années. En temps normal, les travaux cinématographiques réalisés lors de ces sessions sont donnés à voir au moment des concerts du maître : une tradition rompue par le Cinéma du réel, qui a su les proposer dans ses salles de projection au cours de son édition 2022.

Un puissant souffle dans les images

Ce Zorn III (2018-2022) se concentre sur une œuvre précise, donc, qui peut apparaître au spectateur toute pleine de rythmes accidentés, donc très dure à interpréter. Mais il ne s’agit pas d’un film où chaque moment de la partition est minutieusement passé en revue, et retravaillé à l’écran par celle qui se l’approprie : il paraît surtout conscient d’être traversé par un souffle assez dévastateur. Souffle qui s’élève de cette rencontre entre Barbara Hannigan et la « communauté » de John Zorn, qui signe pour ses musiciens fétiches des compositions pleines de feu, mais aussi de vie. Une rencontre qui prend la forme de cette pièce musicale imposante à apprivoiser, processus relaté au fil de mails témoins des difficultés de ce travail que l’interprète lyrique et le compositeur s’écrivent et qui offrent au final une narration « digne de Rocky », selon Mathieu Amalric. Un souffle vers lequel tout le film se tourne, pour le donner à ressentir au spectateur, totalement.

La structure de Zorn III est ainsi faite davantage d’éclats que de longs passages de travail musical non coupés. De fait, même lors des séquences filmées dans un même lieu, la caméra change beaucoup d’angle, apparaît mobile, et surtout alerte. D’une part on a l’impression de suivre le réalisateur dans une réflexion sur comment filmer la musique de manière réellement vivante, de le voir chercher les moyens de rendre au mieux la façon dont elle naît. D’autre part on goûte l’atmosphère, davantage enjouée que solennelle et sérieuse : on sent que le cinéaste s’amuse pas mal, peut-être parce que ce travail musical assez difficile peut aussi générer des choses imprévues, à enregistrer à tout prix en vidéo…

L’énergie injectée par Caroline Detournay dans le montage participe à cette sensation. On remarque aussi que le bout-à-bout des images et l’étalonnage dû à Paulina Pisarek, mettent en valeur la lumière qui baigne les lieux traversés, et la font un peu participer à la narration : assez perçante dans la salle où Barbara Hannigan et Stephen Gosling, celui qui l’accompagne, se livrent à de longues répétitions, où la voix travaille avec le piano, elle apparaît par contraste davantage chargée de belle ombre et emplie d’air dans l’auditorium à l’arrière-plan ouvert sur l’extérieur visité vers la fin, dans lequel John Zorn écoute l’interprète lyrique et le pianiste enfin parvenus à saisir l’œuvre. Ces variations lumineuses sont bien rendues par le montage et l’étalonnage, et la lumière paraît dialoguer avec l’avancée du travail musical.

L’œuvre, doucement dévoilée

Et l’œuvre en elle-même ? Ses fragments sont donnés à entendre, et ses particularités bien mises en valeur par le travail de Sylvain Malbrant, au montage son, et d’Olivier Goinard, chargé du mixage. On profite d’elle via ses passages interprétés à l’écran par Barbara Hannigan, avec une technicité stupéfiante. Elle avouera, suite à la projection, que « Zorn a su lui donner une énergie folle, à un âge où beaucoup de chanteuses doivent s’arrêter ». On admire aussi Stephen Gosling le pianiste, qui plonge avec sa virtuosité, et toutes ses forces, dans ces notes semblant sautiller et faire des montagnes russes, ménageant sans cesse des surprises et des grands virages. On a aussi des échos de quelques figures qui la traversent, cette œuvre : étant donné qu’elle est tissée en partie à partir d’éléments du folklore finnois, Louhi la sorcière du Nord est évoquée, par exemple, en une scène assez drôle et espiègle.

Et on observe également celui qui l’a composée la regarder prendre vie, avec exigence, mais aussi avec l’esprit ouvert : s’il ne veut rien changer quand des difficultés de chant se présentent, auquel cas « la macrostructure s’écroulerait » dixit Mathieu Amalric rapportant ses propos en fin de projection, Zorn écrit pour ses musiciens, et n’a pas le comportement « du compositeur mort-vivant dans sa tour d’ivoire ». Il offre « des séries de possibilités » à interpréter, et affirme de toutes façons à Barbara Hannigan dans l’un de ses messages que « la perfection est statique », alors que la musique, elle, reste « dynamique ». On a l’occasion de le regarder, enfin, se réjouir avec un enthousiasme profond du résultat atteint, alors que le film s’achemine vers son terme.

Au final, Mathieu Amalric avouait, à la fin de la Séance spéciale qui vit le film être projeté pendant le temps du Cinéma du réel, qu’il ne pouvait pas faire rentrer toute cette œuvre dans ses images : « Après, il n’y aurait plus rien à aller écouter ! Or il faut aller l’écouter ! »

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Visuel : © Film(s) (à la production) / Magnolia Films (à la post-production)

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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