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Vesper Chronicles : “La prochaine révolution sera biologique” (Bruno Samper)

Vesper Chronicles : “La prochaine révolution sera biologique” (Bruno Samper)

15 August 2022 | PAR Jane Sebbar

Dix ans après le thriller érotique Vanishing Waves (2012), Bruno Samper et Kristina Buozyte reviennent avec un nouveau film de SF : Vesper Chronicles ; cette fois-ci, plus organique que fantasmatique. Un monde apocalyptique où la nature telle qu’on la connait n’existe plus. Un nouvel écosystème complètement artificiel et pourtant plus vivant que jamais. Quelques privilégiés se sont retranchés dans des « Citadelles » coupées du monde, tandis que les autres tentent de subsister dans une nature devenue hostile pour l’homme. C’est l’histoire de la jeune Vesper, qui vit dans les bois avec son père alité dont le cerveau continue de fonctionner par l’intermédiaire d’un drone. Vesper rêve de s’offrir un autre avenir, grâce à ses talents de bio-hackeuse, hautement précieux dans ce monde où plus rien ne pousse. Le jour où un vaisseau en provenance des Citadelles s’écrase avec à son bord Camélia, une mystérieuse passagère, Vesper décide de prendre les choses en mains. Un film qui sort en salle le 17 août. L’occasion pour la rédaction de s’entretenir avec les réalisateurs qui imaginent qu’après la révolution informatique, la prochaine révolution sera biologique. 

Tous vos films orbitent autour d’un thème principal : la science. Pourquoi ? Qu’est-ce que la science vous inspire ? 

Bruno Samper : La science, ça nous correspond. C’est fascinant. Ce qui nous intéresse dans la science, c’est tout ce qui relève de la terra incognita, pas comme les technologies informatiques qui ont déjà beaucoup été exploitées par la SF. Après, notre thème de prédilection, certes c’est la science d’une certaine manière, mais plus précisément, Vesper Chronicles appartient au genre de la bio-fantaisie. Et nous avons envie de développer des projets en lien avec ce genre cinématographique. Mais tout dépendra du succès de Vesper.

Vesper Chronicles, c’est une coproduction entre la Belgique, la France et la Lituanie, qu’est ce que cette coproduction apporte de plus au film ? 

Kristina Buozyte : Depuis des années, nous voulions faire une véritable coproduction entre la France et la Lituanie. La Belgique est arrivée à l’étape de la post-production. Nous avons utilisé les compétences cinématographiques de la Lituanie pour les paysages, celles de la France pour les effets spéciaux, et celles de la Belgique, pour tout ce qui relevait de la post-production, pour le son par exemple et aussi un peu pour les effets visuels. 

Bruno Samper : De la Lituanie, nous avons repris cette mélancolie baltique et cette vision panthéiste de la nature. De la France, nous avons repris cette tradition de la science-fiction avec des références à l’univers de Métal Hurlant, la BD de SF des années 70.

Vous avez créé un monde apocalyptique dans lequel on a d’abord l’impression que la nature n’existe plus mais dans lequel on découvre progressivement un nouvel écosystème, pourquoi avoir décidé de jouer avec les codes du genre apocalyptique ? 

Bruno Samper : Nous sommes dans un monde où la civilisation telle qu’on la connaît s’est effondrée. Nous avons l’impression que le monde est mort mais ce n’est pas le cas. Il n’est pas mort, il s’est juste transformé. La façon dont l’humain vivait et dominait la planète a changé. Au départ, on voulait créer un conte mais au lieu de se dérouler dans le passé, le conte se déroule dans le futur. Nous avons extrapolé l’idée selon laquelle, plus les technologies évoluent, plus elles s’orientent vers l’organique. Nous pensons qu’après la révolution numérique, la prochaine révolution sera biologique. À présent, la biologie synthétique est de plus en plus développée. Même les laboratoires chinois qui fabriquent des téléphones travaillent également sur la génétique. Google ou d’autres entreprises de la Silicone Valley investissent dans la biotechnologie. Donc, nous nous sommes demandés ce que pourrait être le monde si nous mélangions les deux, c’est-à-dire la civilisation qui s’effondre, et en même temps, cette biotechnologie qui continue d’évoluer. Puis, l’humain qui colonise totalement le vivant. Toutes les créatures du film ont été créées par l’humain et ont remplacé l’écosystème naturel par une sorte d’écosystème complètement artificiel. Nous avons imaginé que la biotechnologie deviendrait très facile d’utilisation. On le voit déjà maintenant quand par exemple les bateaux qui importent depuis l’Amérique ou l’Asie des insectes en Europe détruisent les espèces existantes. Par exemple, on a amené le frelon asiatique et il a tué de nombreux insectes. On peut imaginer que si les scientifiques créaient de nouvelles formes de vie, la nature serait progressivement remplacée. 

Dans le film, le père de Vesper, la protagoniste, est connecté à un drone. On pourrait croire qu’à l’intérieur de ce drone, il n’y a rien de vivant, et pourtant, on découvre un réseau de glandes, visqueux et gluant. Pourquoi avoir décidé de mélanger le robotique et l’organique ? 

Bruno Samper : Plus les technologies évoluent, plus elles s’orientent vers l’organique. Aujourd’hui déjà, il y a des expériences sur le stockage d’informations à l’intérieur de l’ADN. L’ADN est déjà constitué d’informations, mais on s’est rendu compte qu’on pouvait stocker d’autres informations. Aujourd’hui, la technologie que nous avons, c’est une imitation de la nature, mais c’est une mauvaise imitation, une sorte de caricature. Plus on mélange la robotique et l’organique, plus on se rapproche de ce que la nature a déjà développé. L’intérieur du drone est organique parce que nous nous sommes dit qu’il était connecté au cerveau du père. A l’intérieur, il y a une sorte de réseau, des tissus organiques.

Kristina Buozyte : Les technologies deviennent de plus en plus complexes. On a imaginé que les habitants de la Citadelle continuaient de développer ces technologies. Ce drone, il se situe entre les deux révolutions. Son aspect robotique appartient à l’ancienne technologie. Camélia et le Jug, quant à eux, ils appartiennent à la révolution biotechnologique. 

Comment avez-vous fait pour créer un univers aussi complet avec un si petit budget (2 millions d’euros) ? 

Bruno Samper : Le temps, et l’attention conférée aux détails. Quand on a du temps, on peut faire attention aux détails. C’est l’idée qu’il faut trouver un bon équilibre entre les détails tout en conservant un certain mystère. Nous n’expliquons pas tout donc nous vous donnons l’impression que tout est plus grand. Imaginez que vous ayez une tour qui se perd dans le brouillard. Vous ne voyez pas le haut de la tour, donc vous ne savez pas jusqu’à quelle hauteur elle s’élève. C’est votre imagination qui fait le travail. Vous imaginez qu’elle s’élève à plus d’un kilomètre. Vous ne savez pas, peut-être que le haut de la tour se situe à quelques mètres à partir du début du brouillard, peut-être pas. Nous donnons assez de détails pour que le public les saisissent et fassent le travail par eux-mêmes. Nous aimons suggérer, faire en sorte que le spectateur participe, utilise sa propre imagination pour s’immerger dans l’univers que nous créons. 

Avec les effets spéciaux, Vesper Chronicles a des airs de blockbuster hollywoodien, ce qui me pousse à vous poser la question suivante : votre approche artistique est-elle plus centrée sur l’humain ou sur le spectaculaire ? 

Kristina Buozyte : Nous avons essayé de trouver un équilibre. Comme nous savions que nous ne pouvions pas créer un spectacle comme ça, nous avons misé sur les relations humaines et sociales. Pour nous, c’était un film qui devait transmettre des messages, raconter des histoires. Comme nous n’avions pas un gros budget, nous n’avons pas beaucoup filmé, mais surtout ce n’était pas notre but. Dans ce film, il est question de texture, tout est très tactile. Il fallait utiliser les effets spéciaux, pour donner une impression de texture aux plantes ou au robot par exemple. 

Bruno Samper : Comme nous ne pouvions pas concurrencer les blockbusters américains, nous avons pris ce qu’Hollywood laisse de coté. Nous avons porté une attention toute particulière aux personnages et à « l’effet de réel ». Les blockbusters d’aujourd’hui parient beaucoup sur les images de synthèse, tout est recréé par ordinateur et vous avez un peu l’impression de perdre cet « effet de réel » qui donne aussi cette impression de danger. Dans les blockbusters américains d’aujourd’hui, vous ne ressentez pas le danger lorsque les personnages sont dans des situations périlleuses, pas comme s’ils étaient dans le monde réel en tous cas. Vous regardez les scènes en étant plutôt détaché, comme si c’était un spectacle, comme si vous regardiez un feu d’artifice. Le blockbuster américain avait autrefois cette capacité de faire voyager le spectateur, comme les premiers Star Wars par exemple. Mais cet « effet de réel » s’est perdu. Nous, nous croyons que c’est toujours très important pour le public. Donc nous nous sommes concentrés là-dessus, les personnages, l’aspect organique et la crédibilité de ce monde apocalyptique. Nous avons travaillé sur la texture, la matérialité de ce monde, pour que le public y croit et se sente comme immergé. 

Vous avez déjà réalisé plusieurs films ensemble. Vous êtes une équipe. Comment vous organisez-vous pour faire en sorte que ça fonctionne ? 

Bruno Samper : C’est organique (rires). Nous réactualisons sans cesse. Nous faisons un premier jet et ensuite nous recommençons. Nous nous mettons sans cesse au défi jusqu’à ce que nous soyons tous les deux satisfaits. Nous aimons nous mettre au défi mutuellement. Des fois c’est douloureux. L’un vient avec une idée et ça ne plait pas à l’autre, alors nous sommes obligés de trouver une solution, de faire des concessions, de trouver une autre idée. 

Kristina Buozyte : C’es très intéressant, nous amenons tous les deux quelque chose, et quelque chose d’autre prend vie, une chose à laquelle on ne s’attendait pas. On doit mettre nos égos de côté et penser à ce qui est le mieux pour le film.

Pour ce qui est de la direction d’acteur, quel est votre rapport au scénario ? et à l’improvisation ? 

Kristina Buozyte : Nous écoutons toujours ce que les acteurs ont à dire. Nous travaillons avec des gens talentueux, donc c’est un plaisir, ils peuvent créer une scène inattendue. Tout le monde sait quels sont les enjeux de la scène et qui sont les personnages, mais on peut saisir un enjeu de tellement de manières différentes. C’est une question de collaboration. Des fois, c’est surprenant. Nous avons beaucoup répété, bien que ces répétitions aient eu lieu eu zoom. C’était donc une manière différente de travailler. Nous avons longtemps discuté sur les personnages, cherché des exemples issus de la vie des comédiens afin qu’ils comprennent qui était le personnage qu’ils devaient incarner. Quand nous avons tourné le film, Rafiella (Vesper) n’avait que 13 ans mais elle a tout de suite dit : « J’en sais déjà beaucoup sur Vesper, je pense et je rêve comme elle ». Et Rafiella a appris très vite. Elle observait beaucoup les autres comédiens qui d’ailleurs l’aidaient et essayaient de la mettre à l’aise. C’était très facile de travailler avec elle. Nous avons essayé de travailler sur la précision pour savoir ce qui était le plus important dans chacune de ses scènes. Mais c’était toujours très clair dans sa tête, les raisons qui poussent Vesper à faire quelque chose, l’objectif qu’elle poursuit. Plus nous tournions, plus elle devenait Vesper.

Il y a aussi le personnage de Jonas, qui incarne une certaine ambiguïté, dans quelle mesure est-il un produit de la lutte des classes, un des thèmes qui fait office de fil directeur dans votre film ? 

Bruno Samper : Dans la typologie du conte, il représente l’ogre. Mais nous le voulions humain et  complexe. Symboliquement, il y a deux philosophies dans le film : la philosophie selon laquelle la vie est une compétition, la loi de la nature prévaut ; c’est la loi du plus fort. C’est comme ça, on ne peut rien y faire. Et si on s’oppose à cette loi, on meurt. Donc on doit s’adapter, saisir des opportunités, tracer sa propre route. Et selon Jonas, la loi du plus fort est la seule manière de survivre, la seule manière de défendre sa famille, même s’il doit récolter le sang de ses enfants. Il pense que c’est pour le mieux. Pour Vesper, même si au début elle est un peu égoïste, elle apprend au contact de Camélia une autre manière de survivre : la collaboration. En réalité, la stratégie de la loi du plus fort ne fonctionne jamais vraiment sur le long terme, alors que la stratégie de la collaboration entre les espèces ou au sein d’une même espèce, c’est plus efficace.

Selon vous, la lutte des classes est-elle un phénomène condamné à se redessiner dans n’importe quelle société ? 

Bruno Samper : Oui, aussi loin que nous puissions remonter dans le cours de l’histoire, la lutte des classes se redessine à chaque fois. Ce n’est pas un sujet nouveau, c’est un sujet atemporel. La fin de Vesper suggère l’espoir qu’il pourrait exister une manière de résoudre ce problème de la lutte des classes. Nous avons construit ce monde apocalyptique sur le modèle du Moyen-Âge. Il y a quelques références par-ci, par-là à l’époque médiévale. C’est comme si ce film décrivait la transition entre le Moyen-Âge et la Renaissance. Au départ, Vesper refuse d’aller dans le monde d’après, mais finalement elle décide de prendre ce qu’il y a à prendre.

Vous dédiez votre film, je cite, « à nos mères et nos pères ». Le spectateur s’attend plutôt à ce que vous adressiez un message écologique à la nouvelle génération, mais vous vous adressez à la génération de nos parents, pourquoi ? 

Bruno Samper : Parce que nous savons que c’est difficile. Nous sommes pareils. Nous ne sommes pas mieux que la génération précédente. Nos parents ont fait ce qu’ils pouvaient. On reproche souvent à la génération précédente d’avoir laissé un monde pourri à la génération future. Mais nous sommes tous confrontés aux mêmes problématiques : devons-nous nous comportez d’une meilleure façon ? choisissons-nous la meilleure solution ? 

 

 

Visuel : © affiche du film 

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