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FFFA : Réda Seddiki, « Nous vivons dans une culture collective, où le ‘ena’ (je) est proscrit »

FFFA : Réda Seddiki, « Nous vivons dans une culture collective, où le ‘ena’ (je) est proscrit »

08 November 2019 | PAR Donia Ismail

À l’affiche du Festival du film franco-arabe de Noisy-le-Sec, on retrouve Vendredi est une fête, un film de Samir Ardjoum. Dans une Algérie, animée par un soulèvement populaire, le réalisateur suit Réda Seddiki, un humoriste. Tous les deux parlent de leur rapport à ce pays.

 

Donia Ismail : Qu’est-ce qui a motivé ce film?
Samir Ardjoum : J’ai rencontré Réda lors d’une émission ‘Allalou fait de la radio’ sur le site internet 213 infos en 2018. On s’est très vite bien entendu. Puis, le 22 février est arrivé. En Algérie, d’immenses manifestations ont agité le pays. On discutait de ce qu’il se passait. Nos conversations étaient basées sur des images faites par les autres : des médias ou des anonymes sur les réseaux sociaux. On est descendu une première fois sur Alger, séparément pour marcher. En revenant, c’était une évidence : il fallait que l’on fasse quelque chose. Alors nous sommes partis, cette fois-ci ensemble. Rien n’était écrit. Tout s’est fait sur le tas.

Réda Seddiki : J’avais cette impression que depuis toujours, on racontait notre histoire à notre place. Ces cinq jours de tournage étaient très particuliers. J’avais ce sentiment pour la première fois de ma vie, d’écrire ma version de l’Histoire.

DI : Dans Vendredi est une fête, on suit le retour de Réda en Algérie. On le voit sur scène au Bosphore…
RS : Pour la première fois de ma vie, je fais des sketchs et j’oublie que je suis à Alger. Je me suis permis des choses incroyables. J’ai parlé de politique et de sexualité. J’ai même fait une blague sur l’annulation du Ramadan ! C’était dingue.

SA : Je t’ai filmé après que tu sois sorti de scène. Tu étais très ému.
RS : J’étais surpris. Ce soir-là, il y avait une vraie fierté.

DI : Pourquoi à ce moment-là vous êtes vous senti plus libre de parler de ces sujets-là?
RS : Le mouvement de 22 février m’a servi de tremplin. C’était aussi une réflexion que j’avais depuis un moment. Si je n’arrive pas à faire rire les gens sur ces sujets-là, cela veut dire que je ne suis pas assez bon.

 

DI : Dans Vendredi est une fête, on voit aussi les manifestations qui agitent encore aujourd’hui l’Algérie. Pourquoi était-ce important pour vous, Samir Ardjoum, d’enregistrer ces mouvements populaires?
SA : Je ne pense pas que Vendredi est une fête soit un film sur le hirak. C’est un décor de cinéma. Effectivement, cela nous a stimulés. Dans mon cas, je voulais faire des films. Je parlais plus que je ne faisais. Mais d’avoir rencontré Réda, que le 22 février soit arrivé… Quelle chose s’est passé. Je me suis senti légitime de passer derrière la caméra. Vendredi est une fête est un film sur la subjectivité. Qu’est-ce que veut dire « je » dans notre société? Parfois il s’efface, il revient… Plus on avance dans le film, plus le « je » devient de plus en plus important.

RS : Il y a aussi cette frustration de ne pas pouvoir raconter sa propre histoire de manière subjective. Nous vivons dans une culture collective, où le ‘ena’ (je) est proscrit. D’ailleurs, on le voit dans le film. Chaque intervenant, parle à la première personne du pluriel. On se sent toujours concernés par l’autre, son avis et sa vie. Si bien qu’on ne vit jamais la nôtre.

DI : Il y a une séquence particulièrement marquante, où l’on voit Réda craquer. On ne s’y attend pas du tout ! Que s’est-il passé?
RS : Je ne m’y attendais pas non plus !

SA : Au début, je ne te vois pas. Je ne comprenais pas ce qu’il se passait.

RS : À ce moment-ci, tout remonte. Je revois toutes ces rencontres, toutes ces discussions. Quand il me pose la question « pourquoi tu as accepté », il y a une frustration qui apparaît : de ne pas vivre dans une société où je peux être à 100% moi-même sur scène. En France, je ne peux pas pratiquer mon vocabulaire sur scène. Quand je suis en Algérie, ce sont les codes sociaux qui me pèsent. Il y a cette frustration qu’il n’y a pas un environnement dans lequel on va comprendre entièrement. Je l’ai ressenti dans toutes ces rencontres. J’avais l’impression à la fin d’avoir récupéré leur frustration.

DI : Pourquoi fallait-il garder cette séquence à tout prix?
SA : Elle raconte le film, et surtout notre rapport à notre Algérie. Même s’il est différent. Lui est natif de ce pays. Je suis né en France. Je me suis dit tout de suite : il a trouvé les mots pour le qualifier.

RS : Des amis m’ont dit que le film ne représentait pas l’Algérie. Cela m’a fait plaisir. Pour moi ce film représente une Algérie rêvée, où le vendredi après-midi les rues seraient animées de fêtes, indépendamment du hirak. Où un chauffeur de taxi nous raconterait une histoire d’amour, sans cette pudeur. Où l’on verrait un homme pleurer à la fin, qui défit ainsi le stéréotype de mec viril. Ces petites choses que je n’ai jamais eues en Algérie. J’ai parfois l’impression que ces cinq jours de tournage n’ont jamais eu lieu.

 

DI : Samir Ardjoum, Vendredi est une fête représente-t-il votre Algérie rêvée?
SA : Non, pas du tout. Moi, elle existe, elle est là, dans le réel. Je ne rêve pas. Je filme, j’enregistre ce qu’il y a devant moi.
RS : Je suis déçu Samir, je pensais que tu étais beaucoup plus rêveur que cela.
SA : En essayant de faire du cinéma, je rêve. Mais le réel est très intéressant.

DI : Pourquoi un tel titre, Vendredi est une fête?
SA : C’est Rémy Yassine, qui a collaboré avec nous sur le plan logistique, qui a suggéré ce nom. Je n’avais pas d’autres idées, alors on s’est dit pourquoi pas !
RS : Je le trouve beau ce titre.
SA : Je ne suis pas vraiment à l’aise avec.

DI : Bizarre pour un réalisateur?
SA : Mais c’est bien ! C’est la remise en question perpétuelle. Je ne peux pas voir ce film cinquante fois. Sinon, je l’aurais remonté. Et j’aurais retiré Réda du film surtout.

Vendredi est une fête sera projeté dans le cadre du Festival du film franco-arabe de Noisy-le-Sec, le samedi 9 novembre à parti de 20h45. Le film sera précédé du spectacle de Réda Seddiki. Prix : 3€50.

 

Visuel : Affiche

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