
Mort de Joel Schumacher, réalisateur très inégal
Entre films prônant la vengeance légitime, blockbusters ratés et productions plus fines et abouties tout de même, le réalisateur américain aura su, pas mal de fois, créer des événements, parfois très négatifs et critiqués, et davantage salués quelques autres fois.
Joel Schumacher est mort le 22 juin, à 88 ans. C’est donc l’heure du bilan pour le réalisateur américain, qui ne fit pas toujours l’unanimité, loin s’en faut. Assurément pas un auteur, Schumacher n’était pas vraiment non plus un bon réalisateur de blockbusters : son Batman Forever (1995), troisième adaptation cinéma – non liée à une série télé – des aventures de l’Homme-Chauve-Souris, reste une pantalonnade assez fade (moins fade que l’interprétation de Val Kilmer, dans le rôle-titre), et sa suite, Batman & Robin (1997), bat toujours des records de mauvaise presse – la fameuse scène de la Bat credit card ayant traumatisé des générations de spectateurs – et demeure un échec, plus artistique que public, gravé dans les annales du box-office, dans la mesure où il fit disparaître le héros des grands écrans pour tout de même huit ans. “J’ai participé au meurtre de Batman“, affirmera George Clooney, son interprète – ni passionnant ni passionné – dans ce film guère mémorable.
Au risque de blesser ceux qui l’aiment, on avoue également que le film de science-fiction au budget moindre L’Expérience interdite (1990) peut faire un peu peine, de par son scénario très forcé : cinq étudiants en médecine – Kiefer Sutherland, Julia Roberts, Kevin Bacon, William Baldwin, Oliver Platt – s’y provoquent des arrêts cardiques, afin d’explorer le territoire sensément présent après la mort. Immédiatement après l’électrocardiogramme plat, ils se retrouvent, tous, face à leur pire souvenir. Pourquoi ? Pour que celui-ci puisse venir les hanter après leur réveil. Et qu’il y ait tout simplement un scénario… On ne s’étendra pas, par contre, sur Bad company (2002), buddy movie absolument médiocre où Anthony Hopkins le placide et Chris Rock le bavard s’allient pour contrer on ne sait plus quelle menace criminelle. De même, le film-concept Phone Game (2003), où Colin Farrell, piégé dans une cabine téléphonique, est pris pour cible par un sniper, peut ne pas trop convaincre, le cynisme du personnage principal, pointé du doigt, ressemblant quelque peu à celui de l’argument même du film…
Un fond parfois douteux
Peu marquant comme meneur de blockbusters, Joel Schumacher fut-il meilleur au moment de diriger des films avec un peu plus de fond clairement exprimé ? Pas toujours… Si l’auteur de romans policiers John Grisham lui fournit les moyens de signer un film à suspense sympathique avec Le Client (1994), où brillent Susan Sarandon et Tommy Lee Jones, il ne lui permet que de s’étaler, à la sortie du Droit de tuer ? (1996), thriller sur fond de procès (mené par Sandra Bullock et Matthew McConaughey) où la défense d’un père noir (Samuel L. Jackson) ayant tué les violeurs de sa fille ne sert au final qu’à louer le bien-fondé de la peine de mort. Un mélange des thèmes que d’aucuns qualifièrent d’atroce.
Ces idées n’épargnent pas non plus 8 mm (1999), dans lequel l’enquête de Nicolas Cage autour d’un snuff movie (ou “film montrant un meurtre réel en direct”) suggère au final que les réalisateurs de films underground aux thèmes sombres et atypiques (de ceux dont on peut voir les oeuvres à l’Etrange Festival, à Paris) sont capables d’aller jusqu’au crime, si on les paye cher. La seule solution à ce mal : la vengeance individuelle. Pas ragoûtant. Mais le film bénéficiant, vingt ans après sa sortie, d’un certain “capital nanar”, il peut être drôle à regarder, pris au vingtième degré bien sûr.
Et l’assez mal accueilli Personne n’est parfait(e) (2000), dans lequel Robert De Niro, blessé, se rééduque auprès de son voisin, travesti joué par Philip Seymour Hoffman, paraît au final manquer de finesse, malgré un côté plus léger.
Les bons films
Alors, Joel Schumacher, vraiment rien à garder ? Inexact. Si D.C. Cab (1983), son deuxième long-métrage, ne parvient pas à marquer lors de sa sortie mondiale, et si la donne change peu pour son troisième, St. Elmo’s Fire (1985), c’est avec son quatrième long-métrage de cinéma, Génération perdue (1987), que quelque chose se passe : ce récit d’une adolescence d’un jeune fils de parents divorcés dans une petite ville américaine au sein d’un gang de motards (en fait des vampires), a du succès, met la lumière sur ses jeunes acteurs, et reste assez culte. Avec même un remake en série télé à sortir prochainement, sur la chaîne The CW (celle qui diffuse Riverdale)…
Si Cousins (1989) et Le Choix d’aimer (1991), qui suivent, ont encore une fois moins de succès, un deuxième événement se produit, avec la sortie de Chute libre (1993). Non exempt de défauts, et de traits trop appuyés, ce film-ci offre néanmoins une plongée vraiment intéressante à la suite d’un homme devenu fou, qui abandonne sa voiture un matin dans les embouteillages, récupère des armes suite à une altercation malheureuse, et traverse sa ville avec un but : aller voir sa fille, qu’il n’a pas le droit de visiter, du fait de son état mental pas stable. Très bien joué par Michael Douglas, opposé ici à Robert Duvall, et au coeur de débats à sa sortie, Chute libre marque par son scénario assez sec, qui colle à la peau du personnage principal pour mieux faire sentir sa folie.
Nouveau film salué comme une réussite quelques années plus tard pour Schumacher, avec Tigerland (2001). Une immersion dans un camp d’entraînement pour jeunes soldats américains devant partir pour la Guerre du Vietnam, qui est aussi le film de la révélation pour un jeune acteur depuis devenu une star : Colin Farrell. Ici dans la peau de la recrue contre laquelle le système établi se casse les dents. Une production applaudie par la critique, cette fois.
Puis Schumacher livre un dernier bon film avec Veronica Guerin (2003), dans lequel Cate Blanchett, exceptionnelle, incarne une journaliste irlandaise prête à tout pour dénoncer d’importants trafics de drogue, dans les années 90 à Dublin. En ce cas, c’est surtout l’actrice qui bouleverse spectateurs et journalistes.
Les dernières années de la carrière de Schumacher sont moins marquantes, après 2003 : mauvais accueil pour sa transposition de la comédie musicale inspirée du Fantôme de l’opéra (2004), décrite comme lourde, regards peu enthousiastes sur Le Nombre 23 (2007), film d’angoisse et de suspense où Jim Carrey plonge en plein cauchemar, et réactions fatiguées devant Twelve (2010), polar sur fond de drogue, et devant Effraction (2011), tout dernier long-métrage pour le cinéma signé Joel Schumacher – avec notamment au casting Nicole Kidman – doté d’un scénario de prise d’otages assez peu apprécié. Une carrière curieuse au final, pas toujours exaltante (entre pathos, idées douteuses, manque de finesse) mais offrant quelques réussites.