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[BERLINALE] “Grâce à Dieu” de François Ozon : les bonnes intentions ne font pas les bons films
En ce deuxième jour de festival, Grâce à Dieu, seul film français en compétition cette année, a été présenté aux journalistes. Dans son – très – long métrage (137 minutes), François Ozon s’attaque à un sujet d’actualité aussi essentiel que polémique : la pédophilie au sein de l’église catholique. La sortie du film en France est attendue dans les semaines à venir alors même que le procès et les jugements des protagonistes vont être rendus en cours d’année.
Grâce à Dieu retrace l’affaire de pédophilie qui a éclaté à Lyon en 2015 suite au dépôt de plusieurs plaintes concernant des agressions sexuelles commises par Bernard Peyrat, un prêtre du diocèse de Lyon dans les années 80 et 90. Le film suit d’abord la bataille d’Alexandre (Melvil Poupaud), père d’une famille de fervents catholiques, afin que l’église reconnaisse les agressions sexuelles qu’il a subi étant enfant. D’un idéalisme naïf, il espère une condamnation de ces actes par la hiérarchie du diocèse et plus particulièrement par le Cardinal Barbarin. Face à l’inaction de l’Église, il va finir par porter sa plainte devant la justice. Une enquête est alors ouverte et va mettre à jour l’étendu des agissements du prêtre. Sous l’impulsion de François Debord (Denis Ménochet), d’abord sceptique puis soudainement aveuglé par la volonté de médiatiser l’affaire en faisant le « buzz », l’association « La parole libérée » voit le jour et ses membres travaillent sans relâche à dénoncer publiquement l’omerta au sein de l’Église sur des faits qui ont touchés et traumatisés des centaines, des milliers de jeunes garçons. C’est finalement avec Emmanuel (Swann Arlaud), jeune homme à la virilité exagérée (moto, moustache, bières, violences conjugales et excès de confiance en soi) que le réalisateur souhaite clore son triptyque mélodramatique. Des trois personnages, après le père catholique discret et inexpressif, le lanceur d’alerte geek et violemment enthousiaste, Emmanuel, homme torturé, est censé apporter l’ultime touche dramatique.
En suivant successivement trois hommes aux caractères singuliers, F. Ozon expose pédagogiquement la multiplicité des réactions que les victimes d’agressions sexuelles peuvent avoir vis-à-vis d’eux-mêmes, de leur entourage et de l’institution catholique. Une intention louable certes, mais au résultat franchement discutable.
S’il est particulièrement difficile de distinguer le vrai du faux, Grâce à Dieu laisse l’amère sensation d’avoir été confronté à des personnages essentialisés, devenant dès lors non plus des personnes complexes mais des prototypes aux profils post-traumatiques que tout un chacun peut anticiper. La représentation de l’Église catholique ne dépasse pas non plus les clichés. Tous ses protagonistes sont présentés sans reliefs et aucune réflexion dépassant la condamnation pure et simple n’est proposée : la psychologie des prêtes est inexistante, les relations internes à l’institution également, enfin aucune réflexion sur pourquoi et comment une telle omerta a pu avoir lieu pendant des dizaines d’années n’est menée. Ce même sentiment d’inachevé se ressent vis-à-vis des personnages secondaires, de manière non exhaustive : les parents respectueux et discrets qui ne veulent pas que l’histoire de leur fils fasse de vagues dans leur communauté, le frère qui n’a pas été agressé et jaloux de l’attention dont son frère bénéficie, les parents rongés par les remords, le père mutique incapable d’empathie, la femme compatissante car elle a été également secrètement agressée, la femme « psychologue » qui encourage la libération de la parole, l’avocate rationnelle, les enfants bien élevés, compréhensifs et curieux, mais pas trop non plus, etc.
La volonté du réalisateur de retranscrire de manière exhaustive, et malheureusement sans le talent esthétique de certains de ses grands films, la multiplicité des expériences des victimes et de leurs proches donne finalement le sentiment d’un sujet qui n’est que superficiellement traité et qui, derrière un aspect journalistique, ne réussit à nous offrir qu’un enchainement de clichés et ne propose pas de réflexion profonde sur le possibilité d’existence d’un événement aussi dramatique. Alors que le réalisateur décrit volontiers au cours de la conférence de presse son film comme un « film citoyen pour faire bouger les choses », on serait tenter de lui rétorquer en toute modestie que la parole a déjà commencé à se libérer et qu’on voit mal quelle nouvelle pierre, son « objet cinématographique », va apporter à ce mouvement.
Espérons que le jury de la Berlinale ne se laissera pas intimider par les bonnes intentions louables du réalisateur, malgré les difficultés de production qui prouvent l’actualité toujours brûlante de ce sujet, et saura reconnaître que les bons sujets et les bonnes intentions ne font pas forcément des bons films.
Grâce à Dieu de François Ozon
avec Melvil Poupaud, Denis Ménochet, Swann Arlaud, Éric Caravaca, François Marthouret
© Jean-Claude Moireau