Cinema
Étrange Festival 2020 : Des premiers jours aux salles remplies, avec “Possessor” de Brandon Cronenberg

Étrange Festival 2020 : Des premiers jours aux salles remplies, avec “Possessor” de Brandon Cronenberg

05 September 2020 | PAR Geoffrey Nabavian

Du 2 au 13 septembre, le festival parisien le plus riche en découvertes atypiques offertes voit sa vingt-sixième édition se tenir, au Forum des Images. Avec des cartes blanches à Marjane Satrapi, ou Pascale Faure (autour du court-métrage), et des hommages à Johann Johannsson, ou Pierre Molinier.

Incroyable terrain dédié aux découvertes les plus inattendues, l’Étrange Festival a lieu en 2020, entre le 2 et le 13 septembre. On s’en rejouit, tant il sait faire explorer des contrées peu communes : des éditions précédentes, on garde en tête les fulgurances trash des Garçons sauvages (film qui connut le succès critique à sa sortie salles en 2018), l’ode si humaine aux matieres les plus répugnantes Kuso, réalisée par l’artiste electro Flying Lotus (et finalement sortie en DVD, éditée par Potemkine), l’incroyable film d’animation malaisant La casa lobo (que certains purent découvrir sur le site de programmes vidéos à voir sur Internet Mubi) ou l’ovni rugueux et épique Ni dieux ni maîtres.

En 2020, les invités du festival à qui des Cartes blanches sont offertes sont l’autrice de bandes dessinées et réalisatrice Marjane Satrapi (qui présentera l’avant-première de Milla, le rare film iranien Prince Ehtejab, ou des oeuvres cultes aussi diverses que Tommy ou Hamburger Film Sandwich), et Pascale Faure, à la direction (avant son départ contraint tout récent, hélas) du département Programmes courts au sein de Canal+, et avec derrière elle tout un travail sur ce format et ses représentants les plus originaux (l’apport de Canal+ en matière de films courts à découvrir restant en effet considérable, si l’on se penche sur une époque précise de la chaîne privée). Les hommages salueront le compositeur Johann Johannsson (signataire des bandes originales de Prisoners, Premier contact ou Mandy) ou le peintre scandaleux Pierre Molinier, mort en 1976.

Possessor, ou Brandon Cronenberg en pleine maîtrise de son rythme

Si, parmi les séances spéciales, la projection du nouveau moyen-métrage de Gaspar Noé, Lux aeterna, ou de Teddy, distingué par le Label Cannes 2020, sont attendues, et si la section Les Pépites de l’étrange compte à son programme une projection de Piège pour Cendrillon (paré pour une ressortie en salles conduite par Revus & Corrigés) qui s’annonce comme un événement, c’est du côté de la Compétition Internationale (à l’issue de laquelle sont remis le Grand Prix Nouveau Genre, en partenariat avec Canal+, et le Prix du public) que l’on tourne d’abord ses pas. En 2020, elle permet de découvrir Possessor, le nouveau film de Brandon Cronenberg, fils de David Cronenberg (remarqué en France à la sortie d’Antiviral, en 2013). Et cet itinéraire d’une femme mentalement mal en point, employée pour tuer, en usant d’une technologie qui permet de prendre le contrôle de l’esprit d’un sujet vivant, convainc en beauté. Son rythme, tout d’abord, transporte ailleurs, dans un univers fort et accrocheur : il s’attache à traduire l’engourdissement de la protagoniste principale du film, découvrant un nouveau corps et une nouvelle vie à habiter. Rendant pour commencer les séquences assez fascinantes, il plonge au final le spectateur, à un rythme mesuré, dans un bain venimeux, en traduisant des difficultés toujours plus insurmontables pour l’héroïne. Les images de Brandon Cronenberg, très esthétiques, et la photographie scintillante de Karim Hussain apparaissent au diapason de ce monde décrit, rendu fascinant pour mieux apparaître malaisant tout à coup. Et la musique de Jim Williams déroule longuement des nappes sonores, en les soumettant tout à coup à des variations côté intensité, de sorte qu’un côté organique s’installe au niveau du monde sonore du film, paraissant provenir du coeur même de l’univers décrit au cours de l’histoire. La séquence au cours de laquelle Tasya, l’héroïne (Andrea Riseborough, intense et hantée) a pénétré mentalement Colin, le nouveau véhicule de meurtre (Christopher Abbott, littéralement transcendant, dans un rôle où deux esprits sont sensés se disputer son corps), et où l’on voit celui-ci se lever pour commencer sa journée – avec en lui l’esprit de Tasya, qui le manipule – apparaît remarquable et bouleversante, de par le temps pris à capter les gestes lents et l’adaptation difficile de la tueuse, au sein d’un corps et d’une vie qu’elle ne connaît pas. Et ici, les éléments esthétiques participent au trouble produit.

Si le fond de l’oeuvre – qui observe sa protagoniste glisser en fait vers la totale absence d’émotion – pourra apparaître pas totalement neuf, on peut néanmoins juger que Brandon Cronenberg illustre ses idées et thèmes d’arrière-plan d’une belle façon, en invitant ses spectateurs à vivre une balade languide et marquante. Semé de scènes de meurtres assez sanglantes, qui évitent la complaisance côté plans et se répondent les unes aux autres, composant un puzzle intéressant – au sein duquel Sean Bean, acteur dans le film, au même titre que Jennifer Jason Leigh, sera notamment charcuté – Possessor brille et frappe encore davantage lorsqu’il triture la matière corporelle de façon plus simple et plus directe. A la manière de cette scène angoissante où Colin l’homme manipulé se rebiffe – il semble… – et vient briser sous ses doigts le visage de Tasya, allongée. Lequel éclate comme du carton… En ces moments, le film compose une grammaire de l’échange de corps et d’esprit qui apparaît inédite. Et ment peut-être, quant à la personne qui a le contrôle du corps vu à l’image… Avec ici, encore une fois, un travail esthétique qui tente des choses, et ne ferme pas les sens.

L’Etrange Festival se poursuit jusqu’au 13 septembre à Paris, au Forum des images.

*

Visuel : © Arclight Films / Elevation Pictures Prod

L’Orchestre national d’Île-de-France fait sa rentrée à Sucy-en-Brie
Deauville, notre amour (jour 1 de la rédaction)
Avatar photo
Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration