Cannes 2022, jour 7 : des Nuits de Mashhad assez prenantes, et un Cronenberg attendu
Après l’effervescence du week-end , la Croisette se calme à peine, pour accueillir les prochains films de la Compétition. Au 7e jour de notre présence à Cannes, le suspense est à son comble…
Plus que jamais engagés dans la découverte d’Un certain regard et de ses propositions, dans le cadre de ce Festival de Cannes 2022, on se lance tout d’abord, en ce début de journée, dans War Pony. Sachant qu’il s’agit d’une chronique sur des Indiens dans les Etats-Unis actuels et leur réalité, et aussi du premier long-métrage réalisé par l’actrice Riley Keough – petite-fille d’Elvis Presley par ailleurs – co-signé avec Gina Gammell… Au final, cette peinture sociale, bien qu’un peu attachante, se révèle quelque peu superficielle et déjà vue. Un côté consensuel enrobe ses scènes, et les trajectoires de ses personnages.
Du côté des documentaires présentés Hors Compétition, on a pu ensuite se lancer, à 16h, dans Riposte féministe, centré sur les groupes de colleuses affichant des messages en lettres noires sur fond blanc dans les villes, afin de dénoncer féminicides et violences sexuelles et sexistes. Un doc de Simon Depardon – fils de Raymond Depardon – et Marie Perennès, témoignage intéressant sur une action importante, laissant les paroles se développer.
Difficile série Irma Vep
Il fut temps, ensuite, de se lancer dans l’aperçu offert par le Festival de la série Irma Vep, produite par HBO mais tournée en France avec équipe française en très grande partie. Les acteurs n’y étant absolument pour rien, on ne les blâmera en aucun cas pour ce qu’on a vu. Il s’agit là de la deuxième fois qu’Olivier Assayas, ici créateur du programme, se mesure au classique du cinéma muet de Louis Feuillade Les Vampires (1915), après son long-métrage Irma Vep de 1996. Cette variation-ci ne convainc vraiment pas : une fois passé le beau générique, tout en animation et agrémenté d’une musique rythmée mais un peu en décalage, joliment, le doute assaille dès les premières images, dès qu’Alicia Vikander – qui joue une actrice venant tourner en France, ici – descend de son avion. Devant la façon dont Olivier Assayas la filme, et cadre son look, on se dit : à une époque, il disséquait avec sa caméra les lieux de pouvoir très froids qu’il traversait, aujourd’hui a-t-il succombé au toc, comme fasciné par lui ? Tout le reste sera à l’ave- nant : les conflits des personnages n’amènent souvent que vers du mauvais vaudeville, développé au fil de scènes trop longues…
Novembre, Sick of myself puis finalement Les Nuits de Mashhad
Vers les 18h, on s’est ensuite lancés dans Novembre, polar français – réalisé par Cédric Jimenez, signataire du controversé Bac Nord – suivant la Brigade anti-terroriste lors des tueries du 13 novembre 2015 à Paris, et la traque des terroristes coupables marquée par des errements des enquêteurs. Un film policier qu’on a pu trouver efficace.
Après toutes ces propositions hors de la Compétition, retour d’abord au sein d’Un certain regard, avec Sick of myself, histoire d’une jeune femme prête à tout pour attirer l’attention du monde autour d’elle sur sa personnalité qu’elle juge exceptionnelle, et comédie norvégienne servie par quelques partis pris explosifs, donnant lieu à des scènes cocasses. Mais aussi par un vrai talent de réalisation : la sensibilité du signataire, Kristoffer Borgli, se ressent dans les plans qu’il dirige.
Il était donc temps, ensuite, de découvrir l’un des films en Compétition pour la Palme d’or en cette année 2022 : Les Nuits de Mashhad, très attendu car signé par Ali Abbasi, Prix Un certain regard en 2018 pour Border. L’histoire vraie d’un assassin de prostituées, dans la ville de Mashhad en Iran, au début des années 2000. Un film à suspense qui démarre très fort, avec un impressionnant travail sur la lumière et le son, s’avère un peu fragile ensuite dans la conduite de son récit, mais se révèle au final solide, tout de même. Avec une héroïne journaliste face à une enquête, et à une société, difficiles – elle se trouve notamment face à un policier qui sait qu’il a tout pour qu’elle se sente démunie – que l’on arrive à suivre et à trouver fascinante. Et une dernière scène très corrosive qui va peut-être lui rapporter un Prix le 28 mai…
Histoire de souffler devant quelque chose de moins anxiogène, on est ensuite allé, dans le cadre du Cinéma de la plage, goûter la projection de La Cour des miracles, comédie française sociale dans laquelle la directrice d’une école primaire (Rachida Brakni) située en Seine-Saint-Denis tente de créer la première école écologiste de banlieue. Un film très positif et sympathique, servi en premier lieu par les prestations de ses acteurs, dont les géniaux Sébastien Chassagne, Raphaël Quenard – tous deux très présents à Cannes dans les films programmés en 2022 – et Gilbert Melki. Et aussi Disiz, très bon, dans la distribution.
Un Cronenberg comme au bon vieux temps, Léa et Viggo en piste pour un prix
David Cronenberg fait son retour sur la croisette avec Les Crimes du futur. Et les fans ont toutes les raisons d’adorer ce cru 2022 car, avec son titre tiré d’un de ses films de 1970, le cinéaste canadien nous replonge dans sa grande époque, façon Videodrome, Scanners et Chromosome 3. Cette nouvelle plongée horrifique montre une société friande de performances basées sur la chirurgie esthétique extrême et l’extraction au laser d’organes parasites, et dans laquelle de mystérieux agents font respecter des règles qui limitent la dérive du corps humain. Cronenberg ose même explorer les confins de l’acceptable à l’écran avec le sort terrible d’un enfant mangeur de plastique et de son cadavre. On sort de la projection avec le sentiment de retrouver l’essence d’une icône du cinéma avec ce qui ressemble à un petit film (en budget) et un grand film pour cinéphiles avertis. Léa Seydoux et Viggo Mortensen sont remarquables et l’un des deux pourrait bien rafler un prix d’interprétation.
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Visuels : © Geoffrey Nabavian