[Critique] « L’Etudiant » : une vision du Kazakhstan crue mais sans chair
Le cinéma kazakh existe. Darejan Omirbaev en est l’un des deux représentants « connus » au sens où ses films sont diffusés dans le circuit traditionnel, hors des rétrospectives. Découvert en 1997 avec Tueur à gages, film sur la réalité de son pays, puis confirmé en 2002 avec La Route, il s’attache désormais à peindre cette réalité à travers les destins de personnages empruntés à la littérature. Dans L’Etudiant, sa nouvelle oeuvre, on remarque un message exprimé de façon claire à la fin. Cela ne suffit hélas pas, une question demeure: le film veut-il peindre un destin ou une réalité ? Ne sachant choisir, il rend le destin peu palpitant et la réalité uniforme. Très dommage.
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Dans L’Etudiant, une scène fera sourire ceux qui ont encore en tête les pitreries de Sacha Baron Cohen et de son Borat, kazakh fictif: un énorme monospace noir est tiré par un âne. Sauf qu’ici, le véhicule roule vraiment, veut juste sortir ses roues de la boue, et voit son conducteur s’énerver. Au final, l’âne sera exécuté à coups de club de golf. On n’est pas là pour rire, dans ce film de Darejan Omirbaev (prononcer « bayev »). Ce contenu est éminemment symbolique.
Que raconte ce film sur la réalité du Kazakhstan d’aujourd’hui ? La différence entre les classes, tout simplement. Pour le réalisateur, le communisme s’est vu remplacé par le capitalisme. « Maintenant les magasins sont pleins, mais nous n’avons pas d’argent pour acheter les denrées qu’ils proposent » confie-t-il dans un entretien réalisé par Michèle Levieux. En effet, le jeune étudiant qui donne son nom à l’oeuvre n’a pas d’argent, vit sous la maison d’une vieille logeuse, dépense des fortunes sur le peu qu’il a pour acheter un seul pain, et perd son boulot d’été. Pourquoi le perd-t-il ? Parce que, lors d’une scène du film sur lequel il travaillait, tournée dans une école, un assistant, subjugué par la beauté de l’actrice principale, a renversé sur elle du thé. Un coup de fil et trois gardes du corps, envoyés par son mari très très riche, plus tard, elle avait lâché le projet, et l’assistant était en sang. « Justice immédiate », absurde, commente Omirbaev. Comment dès lors ne pas avoir envie, pour l’étudiant, d’acheter un pistolet, de braquer l’épicerie du coin et, devant une incapacité à passer à l’acte sur place, de tuer le tenancier, et une cliente ?
L’Etudiant, film sur une réalité donc. Montrant un Kazakhstan moderne, qu’on connaît bien peu. Mais la réalité, ici, présente des problèmes d’agencement. Revenons-en à la scène de la voiture et de l’âne: une fois la bête blessée à mort, le monospace, bloqué précédemment, sort de la flaque d’eau et roule à grande vitesse. Du réaliste, on passe au symbolique. Tout le problème du film se situe ici: une peinture de la réalité au fondement, des scènes qui prennent un sens symbolique, et… pas d’incarnation. Nurlan Baitasov a beau être très convaincant dans le rôle principal – il est un jeune élève en cinéma de Darejan Omirbaev en vrai- les plans des immeubles d’affaires des grandes villes kazakhs ont beau rester esthétiques et signifiants, quelques scènes ont beau surnager -le sac ramené, où la chair se manifeste, enfin- on s’ennuie cependant.
L’étudiant du titre, en fait, c’est Raskolnikoff. Omirbaev dit que, lorsque Fédor Dostoïevski écrit Crime et châtiment, en 1866, le capitalisme fonctionne en Russie. Aujourd’hui, une situation d’il y a plus de cent cinquante ans se reproduit au Kazakhstan. Et le personnage de se retrouver dans le processus de culpabilité, puis de confession, du jeune russe. Sauf que depuis cent-cinquante ans, de telles histoires ont été racontées un nombre de fois incalculable. Il eût fallu qu’Omirbaev transcende cette figure principale. Ce n’est pas le cas. Son destin ne touche pas, pas plus que sa rencontre avec un vieux poète pauvre, et sa famille.
Le message, à la fin, est clair et beau: pour être toi-même au Kazakhstan à notre époque, il faut prendre d’abord des coups. Mais on ne les sent pas. Pas assez de chair, dans ce film. Alors on reste au niveau d’une réalité grise. Robert Bresson, auquel le réalisateur se réfère souvent, si l’on s’en souvient, partait du réalisme, le rendait symbolique, et, parfois, constituait à partir de ce matériau, des figures humaines. Ici, elles se limitent à leur position sociale. Mieux vaut sans doute revoir les premiers travaux du réalisateur kazakh, plus spontanés, plus en recherche d’une réalité à capter, immédiatement touchante et alarmante.
L’Etudiant, un film de Darejan Omirbaev avec Nurlan Baitasov, Maya Serikbayeva, Eldige Bolysbaev. Drame kazakh, 1h30.
Visuel: Nurlan Baitasov dans L’Etudiant © Les Acacias