Cinema
[Cannes, Un certain regard] Dans le beau « Jauja », le beau Viggo. Tout seul

[Cannes, Un certain regard] Dans le beau « Jauja », le beau Viggo. Tout seul

19 May 2014 | PAR Geoffrey Nabavian

C’est l’association qu’on n’a pas vue venir. Qui aurait cru que Lisandro Alonso, réalisateur de films aussi secrets, contemplatifs, peu bavards et lents que La Libertad (2001), Los Muertos (2004) et Liverpool (2009) dirigerait un jour Viggo Mortensen ? Le bébé conçu: Jauja. Pour lequel le cinéaste argentin n’a aucunement renoncé à son style. Préparez-vous à voir Viggo tout seul. TOUT seul. Et puis… Et puis… Hum…

[rating=4]

Adieu le bûcheron qui coupe du bois dans la pampa argentine, le vieil homme qui descend une rivière en pirogue, ou le marin qui passe d’un bord de l’écran à l’autre. Tous héros de films d’une heure et demie. Le nouveau héros de Lisandro Alonso, c’est Viggo ! Mais Viggo grimé en capitaine danois dirigeant des militaires argentins à la fin du XIXème siècle. Viggo qui parle tantôt dans la langue d’Hamlet, tantôt en espagnol. Viggo qui devise longuement et mystiquement avec ses soldats dans un décor de Patagonie côtière infestée d’éléphants de mer, sous des cadrages que ne renieraient pas Huillet et Straub. Puis Viggo qui se lance à l’assaut des plateaux déserts, lorsque sa fille, qu’il surveille comme Aguirre, s’échappe. Réjouissez-vous, mesdemoiselles et chers fans d’Aragorn: pendant au moins une heure cinq, on ne voit plus que Viggo. Dans des plateaux vraiment sauvages et déserts.

Jauja est d’une lenteur, d’une exigence extrêmes. Et ce n’est pas à la première vision que vous pourrez l’apprécier totalement. Viggo parti dans ses plaines, loin des débats en langue très écrite du début, on s’interroge : quelles sont les règles ? Faut-il le fixer, s’attacher à ressentir le moindre des mouvements qu’il effectue ? ainsi, arrivera-t-on à voir “l’île sous le pied du danseur”, selon la formule d’Isidore Isou ? faut-il fixer le paysage dans lequel il évolue ? quand on s’y risque, on ressent de l’angoisse. Une menace rôde. Mais nos rétines se fatiguent vite… Sachez que oui, dans Jauja, tout est fixe, rien ne bouge. On y voit du mystique aussi. Du panthéisme… Et puis, un bel effet de contraste, produit avec l’avant-dernière sequence, dans une grotte, et les dernières scènes, où la temporalité change… Où les interprétations sont ouvertes…

Allez-y en ayant en tête la patience qu’il vous faudra prendre. Certains d’entre vous pourront y voir une aventure intérieure vécue par Aragorn. Pourquoi pas… D’autres, un trip mystique stimulant. Oui… En tout cas, merci à Viggo de produire de telles oeuvres. Manière intelligente de mettre à profit son statut. Et reconnaissons à Lisandro Alonso de belles qualités. De l’insistance, notamment. De la ténacité. De celles qui, suivies, vous emmènent très profondément au fond de vous-mêmes.

Jauja, un film de Lisandro Alonso, avec Viggo Mortensen, Ghita Norby, Adrian Fondari, Esteban Bigliardi. Drame argentin, 1h48.

Visuels : © Arte

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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