[Critique] « Chant d’hiver » : Otar Iosseliani nous enchante
Après le très beau Chantrapas en 2010 (voir notre critique), Otar Iosseliani nous offre un film à la fantaisie parfaitement orchestrée : la mécanique comique, sous l’œil toujours jeune de Pierre Etaix, la parabole sur l’absurdité de la guerre, la présence impressionnante de Rufus et, comme toujours chez Iosseliani, des images d’une poésie très forte. Le film (sélectionné à Locarno) sort le 25 novembre et nous vous le conseillons chaudement.
[rating=4]
Otar Iosseliani fait partie de ces cinéastes que l’on aime naturellement : un grand, mais qui ne se prend jamais au sérieux, préférant des facéties de galopin au moralisme ou à la pose. Rien de figé, c’est toujours le cours de l’existence qu’il s’attache à saisir au passage. Dans le sublime Adieu, plancher des vaches (Prix Louis Delluc 2001), l’humour se déployait en toute liberté, débridé, entre un grand oiseau fou et de l’alcool à profusion.
Ici, dans ce Chant d’hiver, l’humour est réglé avec une précision d’horloger, et même chorégraphié (très jolies scènes de chapardage en patin à roulettes dans Paris, proches d’un ballet). L’alcool est recraché avec dégoût : le vin blanc, détestable, ne se boit pas aussi bien que la vodka. Le spectateur s’en trouve-t-il dérouté ? Peut-être au début, mais la construction du film charme à coup sûr : après un prologue révolutionnaire ébouriffant, nous passons à une scène de guerre édifiante et comique en Géorgie, avant de plonger dans la jungle urbaine du Ve arrondissement de Paris.
D’une époque à l’autre, les mêmes visages, et cette roue qui place indifféremment les hommes en haut ou en bas de l’échelle sociale. Chez Iosseliani, les clochards célestes, les chiens en rang d’oignons, les voleurs à la tire, les concierges aristocrates et trafiquants, les prostituées de demi-luxe, les bourreaux de tout poil se côtoient dans un bel ensemble.
Sans livrer un réquisitoire politique, Otar Iosseliani nous propose une réflexion légère et poétique. Comme dans Chantrapas, les jeunes déambulent sans trop savoir tandis que les vieux sont pleins de superbe et de douce folie (formidables Rufus et Amiran Amiranashvili). Avec trois bouts de ficelle, une décoration achetée à un clochard, on passe d’un statut social à un autre, comme on enfilerait un déguisement. Sous un soldat-brute épaisse, peut aussi se cacher un jeune homme amoureux. Iosseliani ne juge pas ses personnages, mais les observe toujours avec malice.
Pour deux images au moins, d’une poésie folle : un homme aplati comme une enveloppe et un mur de la prison de la Santé qui s’ouvre soudain sur un jardin extraordinaire, Chant d’hiver est un film que vous n’oublierez pas.
Chant d’hiver, de Otar Iosseliani, France-Géorgie, 1h57, avec Rufus, Amiran Amiranashvili, Mathias Jung, Enrico Ghezzi, Altinaï Petrovitch-Njegosh, Srah Brannens, Samantha Mialet, Fiona Monbet, Claudine Acs, Josef Roumanet-Monbellet, Fanie Zanini, Pierre Etaix, Tony Gatlif. Sortie le 25 novembre 2015.
visuels: affiche, photo et bande annonce officielles du film.
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Commentaire(s)
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cedric
Monsieur Losseliani sait ce qu’il veut tourner,son exigence s’explique au vu des critiques du film.
Malheur pour notre reseau de salles de cinema,cette poesie raporte moins que les grosses productions americaines donc pas encore vu le film alors que j’y avais tres modestement participe.
Courrez y s’il est diffuse pres de chez vous.