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25e Étrange Festival : l’ébouriffant moyen-métrage “Blood Machines” fait honneur à la SF

25e Étrange Festival : l’ébouriffant moyen-métrage “Blood Machines” fait honneur à la SF

16 September 2019 | PAR Geoffrey Nabavian

Réalisé par les français Raphaël Hernandez et Savitri Joly-Gonfard (un duo connu sous le nom de Seth Ickerman), Blood Machines est un moyen-métrage de science-fiction dont la direction artistique laisse muet d’admiration. Son univers original fait visiter des territoires dépaysants, sur la musique de Carpenter Brut. Invités en prime à présenter un film qu’ils aiment, à l’Étrange Festival 2019, Raphaël Hernandez et Savitri Joly-Gonfard ont choisi Métal Hurlant.

Les réalisateurs français Raphaël Hernandez et Savitri Joly-Gonfard sont connus pour avoir signé Kaydara, court-métrage conçu comme un prolongement de l’univers de Matrix. Aux commandes par la suite du clip du morceau “Turbo killer“, de Carpenter Brut, ils ont pu y développer, sur le plan visuel, les prémisses d’un univers. Ce monde trouve un prolongement au sein de Blood Machines, moyen-métrage d’environ cinquante minutes, qui impose un véritable ailleurs, original et personnel.

Maîtrise et poésie folles

Côté intrigue, ce métrage donne à suivre les pilotes d’un imposant vaisseau, à la poursuite d’un autre navire, bien particulier. La scène d’ouverture prend place sur une planète sombre, dont on apercevra peu les paysages au final. Nulle importance : si le vaisseau fugitif est déjà écrasé au sol lorsque le film s’ouvre, le croiseur de l’espace qui le chasse fait ensuite son entrée dans le ciel de la planète puis se pose. Et c’est un véritable choc : ce vaisseau occupé par les protagonistes principaux a une apparence impressionnante, originale, quasi organique. Une forme de mâchoire, une armature métallique qui fait penser à des dents, une teinte translucide semée d’étincelles, et des coulées d’un liquide translucide semblable à de l’eau qui dégoulinent sur toute sa surface : ce véhicule transpire la poésie et la passion par tous les pores de sa structure. A ce stade, même le spectateur pas friand à tout prix des aventures spatiales se trouve ébloui.

Face à des êtres qui défendent les restes du vaisseau traqué, le capitaine Vascan (Anders Heinrichsen, charismatique et assez graphique) parlemente, plus qu’il ne tire des lasers. La discussion vire au combat. Et bientôt, le déclenchement d’une sorte de rituel fait s’élever l’âme du vaisseau écrasé. Qui prend l’aspect d’un corps de femme avec un crucifix à l’envers sur le ventre, qui fuit à toute vitesse vers un autre endroit de l’univers, poursuivi par les pilotes du vaisseau traqueur, Vascan et Lago (Christian Erickson, acteur dans 8th Wonderland, 8 fois debout, ou 1 001 grammes, ici intense et engagé).

Renversant côté direction artistique, et pourvu d’une réalisation fluide, qui se permet de placer du chaos sur la route de ses vaisseaux mais sait le filmer pour lui donner un véritable effet, ce moyen-métrage impressionne par sa maîtrise et sa personnalité. La musique de Carpenter Brut, à la fois aérienne et dure, se mêle parfaitement à ces visions démentes et pas gratuites, qui culminent en un duel spatial à la manière inédite, très chorégraphié. Pourvu de quelques ruptures de ton, d’une trame bien rythmée, et d’un personnage-clé de droïde féminin immobile pourvu d’une impressionnante personnalité, ce moyen-métrage respire l’envie d’imposer une patte, de prendre des risques, d’apporter une pierre anguleuse et belle au sein de la science-fiction d’hier et d’aujourd’hui. Un essai totalement transformé pour les réalisateurs Raphaël Hernandez et Savitri Joly-Gonfard, soutenus ici par un groupe d’actrices et acteurs aussi passionnés qu’eux, et jouant en anglais, parmi lesquels on retient surtout, outre l’énigmatique ennemie Coré (jouée par Elisa Lasowski, actrice dans A vif ! ou la série Versailles, et ici magnétique), le supérieur Galdor, vu uniquement par écran interposé, et incarné par un acteur d’exception qui sait rendre ses quelques plans sidérants d’émotion par son engagement fou : l’immense Walter Dickerson (si aimé dans le splendide Where horses go to die, d’Antony Hickling, un film donné à découvrir par l’Étrange Festival 2016).

Métal Hurlant, un peu vieilli

Par comparaison, le frisson s’est avéré moindre devant le choix des deux cinéastes, pour leur séance Carte blanche : le long-métrage d’animation Métal Hurlant, sorti dans les salles françaises en 1981 et inspiré par le magazine de bandes dessinées de science-fiction américain Heavy Metal, copie lui-même du très célèbre magazine français Métal Hurlant, au menu similaire (lancé en 1975, et traversé, entre autres, par les univers imaginés par les dessinateurs Moebius ou Enki Bilal, pour ne citer qu’eux). Conçu lui-même à la façon d’un magazine de bandes dessinées, ce long-métrage confronte en son début une terrienne au mal galactique incarné : le Loc-Nar, une sphère verte maléfique, qui conte ses méfaits à celle qu’il a en face de lui. Avant de se retrouver, au final, face à une adversaire dont il n’aurait jamais soupçonné la puissance… Ce film d’animation pour adultes et grands adolescents se distingue donc par ses différents récits brefs, aux styles graphiques et aux tons très différents (des segments dirigés par Pino Van Lamsweerde, qui signera Astérix et les Bretons, John Halas, signataire de l’adaptation 1954 de La Ferme des animaux, ou Jimmy T. Murakami, qui réalisera Quand souffle le vent) : aventure futuriste d’un chauffeur de taxi dans une ville en ruine où le Loc-Nar, exposé dans un musée, est cherché par des bandits, mésaventure déjantée d’un super-héros criminel dans une station orbitale où a lieu son procès, et où le Loc-Nar transforme le seul témoin qui plaide pour lui en colosse fou furieux…

Le charme de ce long-métrage d’animation tient à ces différentes atmosphères, et aux dessins qui se meuvent de manière un peu rétro (à l’image du générique d’ouverture, qui reste assez anthologique, et présente une navette spatiale qui largue au-dessus de la Terre une voiture volante dont le conducteur transporte avec lui le Loc-Nar). Avec, côté acteurs de doublage, John Candy (en ado transporté dans un monde parallèle où il devient un guerrier primitif surpuissant, puis en robot légèrement obsédé), Eugene Levy (en extraterrestre drogué et désabusé, compagnon d’infortune du robot déjanté) ou Harold Ramis (en autre extraterrestre drogué). Et les chansons de plusieurs groupes de hard-rock et de heavy metal (soft) côté bande originale, au premier rang desquels on trouvera Black Sabbath, qui rivalise avec la partition originale composée, pour les phases plus calmes, par Elmer Bernstein (auteur ici d’un thème entêtant, utilisé lorsque la navette largue la voiture, au tout début). Un beau programme, hélas un peu vieilli et surtout extrêmement sexiste, tous les personnages féminins étant mis entièrement nus, frontalement et sans fard, au détour de toutes leurs scènes (y compris l’intervenante finale surpuissante, la désormais culte Taarna, aux commandes de son animal ailé). Un long-métrage d’animation pour adultes et adolescent à vraiment replacer dans son contexte historique, avant visionnage, qui passe moins la rampe des années que d’autres. On peut parier que, trente-cinq ans après sa réalisation, Blood Machines frappera encore par la passion et la flamme qui l’animent…

Visuels : Blood Machines © Logical Pictures – Shudder – Seth Ickerman – Rumble Fish

Blood Machines © Logical Pictures – Shudder – Seth Ickerman – Rumble Fish

Affiche lors de la sortie dans les salles françaises en 1981 du long-métrage d’animation Métal Hurlant

Gagnez 3×2 places pour une séance de votre choix au festival du cinéma allemand (hors séance d’ouverture).
Agenda classique et lyrique de la semaine du 16 septembre
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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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