Arts
Un maître de la Renaissance vénitienne au musée du Luxembourg

Un maître de la Renaissance vénitienne au musée du Luxembourg

07 May 2012 | PAR Sarah Barry

On connaît Botticelli ou De Vinci, grands maîtres de la Renaissance italienne ; on connaît moins Cima, qui pourtant mérite d’être placé sous la lumière des projecteurs. C’est ce à quoi se livre le musée du Luxembourg en exposant les oeuvres phare de ce peintre, que l’on compte parmi les grands artistes de la Renaissance qui déployèrent leur talent à Venise, alors grand pôle artistique d’Europe. De quoi découvrir une manière emblématique de l’univers pictural vénitien, et de la transition entre le XVème et le XVIème siècle.

Parcourir cette exposition au fond gris sombre, c’est évoluer dans une semi-obscurité où chaque tableau est une petite fenêtre lumineuse ouverte sur une scène émouvante, elle-même placée devant la perspective lointaine d’un paysage. La scénographie de l’architecte Jean-Julien Simonot se met au service des qualités du peintre : la pénombre fait ressortir la lumière éclatante et la puissance harmonieuse des couleurs, propres à Cima, tout en plaquant un départ net pour la plongée de cette perspective atmosphérique typique de l’art vénitien. De petites compositions intimes et minutieuses côtoient de grandes commandes de retables et autres tableaux d’autel destinés à des institutions religieuses. On parcourt idéalement le travail d’un peintre de l’art sacré, qui a choisi d’accorder une attention particulière aux paysages et à la nature.

Giovanni Battista Cima da Conegliano (1459-1460?/1517-1518) grandit dans l’arrière-pays italien, à Conegliano, aux côtés d’un père travaillant dans le textile. Le jeune homme bénéficie donc d’un formidable coup de pouce du destin pour gagner le statut de maître réputé à Vénise, dans un contexte de rude concurrence entre de prestigieuses dynasties de peintres. Bien que sa vie soit méconnue, notamment concernant sa formation et ses soutiens, on sait qu’en 1489 il est installé à Venise à la tête d’un atelier ; il a donc connu une ascension sociale fulgurante, qu’il doit sans doute à la minutie de son dessin, à sa maîtrise des techniques flamandes de la peinture à l’huile et à l’éclat de son coloris.

Cima est aussi un innovateur, notamment à travers cet intérêt qu’il accorde au paysage : il représente pour la première fois en plein air des scènes comme l’incrédulité de Saint Thomas, ou la Vierge allaitant l’Enfant. Cette nature luxuriante adopte progressivement dans sa peinture un rôle actif, et perd celui d’une simple toile de fond. Cima rompt par ailleurs avec la tradition dans certains de ses tableaux d’autel, en cassant la symétrie et en optant pour des compositions plus narratives.

Fait normal pour l’époque, la majorité des oeuvres du maître met en scène des épisodes religieux, souvent tirés de la Bible. Mais parmi les Vierges à l’Enfant et les aventures de Saint Jérôme, quelques sujets profanes émergent ; Cima, peintre humaniste sensible aux tendances de son temps, s’intéresse aux écrits célèbres de l’Antiquité, notamment Ovide, et en tire des sujets narratifs qu’il représente par exemple sur des panneaux décoratifs destinés aux coffres de mariage (cassoni). Ces choix, qui flattent le goût pour l’Antiquité classique des collectionneurs de l’époque, font quasiment de Cima une exception dans la tradition artistique vénitienne. Ainsi, Bacchus et Thésée se promènent sur des compositions encore inspirées du système courtois médiéval, mais dotées d’une noblesse classique. Clou de l’exposition : le gigantesque lion de Saint Marc, emblème de Venise, qui apparaît sur une toile de plus de 5 mètres de largeur, pour environ 2 mètres de hauteur.

Le musée du Luxembourg nous présente donc “un peintre entre deux siècles”, dont les toiles se caractérisent par une grande pureté des formes, des vues particulières en contre-plongée, un classicisme emprunt de sérénité et un grand raffinement dans le traitement des tonalités chromatiques. N’hésitez pas à chercher les empreintes digitales du maître sur les toiles ; elles sont le témoin de son souci de soigner les transitions entre les différents tons, en travaillant la peinture au doigt.

 

Visuels :

1. Saint Sébastien, 1500-1502 (c) Musée des Beaux-Arts de Strasbourg, photo M. Bertola

2. Vierge à l’Enfant, 1490-1493 (c) Archives Alinari, Florence, Dist. Service presse RMN – Grand Palais / Daniela Camilli

3. Vierge à l’Enfant entre Saint Michel archange et Saint André l’apôtre, vers 1496-1498 (c) Galleria Nazionale di Parma Archives Alinari, Florence, Dist. Service presse RMN – Grand Palais / Georges Tatge

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Sarah Barry

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