“Signé Dali – La collection Sabater” : regard de l’artiste sur la femme
Plus d’une décennie de témoignages d’amitié, cela valait bien une exposition. L’Espace Dali, seul en France à exposer des oeuvres du célèbre artiste catalan de façon permanente, présente pendant trois mois une centaine d’huiles, aquarelles, dessins et photographies, autant de gages de sympathie récoltés par son collaborateur Enrique Sabater. Dans le cadre de notre dossier “les femmes dans les yeux des hommes”, explorer la fascination que le “beau sexe” inspirait à Salvador Dali paraît de mise, en piochant dans une exposition où le corps féminin semble si facilement surgir de la main de l’artiste, lorsqu’il adresse une esquisse dédicacée à son ami.
On découvre les premiers objets de l’exposition dans l’architecture déconstruite qui leur sert d’écrin, et déjà, parmi les montres molles, le regard glisse sur des sculptures aux gracieuses courbes féminines. Pour reprendre les mots de l’un des cartels de l’exposition : “Dans l’Univers dalinien, la perfection de la femme est omniprésente , car cette perfection guide l’humanité vers l’avenir.”
Avec la sculpture La Vénus spatiale, qui rappelle les bustes de marbre de la Grèce classique, Dali célèbre la femme, la beauté éphémère de son corps qu’il rend éternelle par le biais de l’art. Lorsqu’il traite le sujet féminin, l’artiste semble d’abord être en quête d’esthétisme, d’harmonie. L’une de ses figures préférées, Alice au Pays des Merveilles, apparaît dans une sculpture de bronze, les cheveux et les mains devenus des roses, “symboles de la beauté féminine”. Et, d’après la légende d’une photographie, lorsqu’on lui demande ce qu’il voit lorsqu’il regarde la Joconde, il répond : “un modèle de beauté”.
Mais s’agit-il seulement de la beauté extérieure, corporelle ? Une autre sculpture, intitulée La Femme en flammes, nous interpelle. On y retrouve un élément iconographique qui obsède Dali : une figure féminine à tiroirs. Du buste rejeté en arrière sortent des tiroirs qui symbolisent “le mystère des secrets cachés”. La figure n’a pas de visage, elle représente toutes les femmes. Et l’auteur du cartel d’ajouter : “Pour Dali, le mystère de la femme est sa vraie beauté”.
C’est à 25 ans que Dali rencontre celle qui sera à ses yeux LA femme et toutes les femmes à la fois. Car pour évoquer le sujet féminin dans sa vie et son oeuvre, on ne saurait passer à côté de Gala. Helena Devulina Diakonoff (1895-1982) est l’épouse de Paul Eluard avant de faire la connaissance de Dali en 1929. Il la reconnaît comme la seule capable d’être sa compagne. Elle est une soeur, une mère, celle qui le guérit de ses angoisses, celle qui répond à ses questions, qui canalise son génie. Elle est son “jumeau”, son “double”, sa “béquille”.
Si le rapport de l’artiste à la femme inclue l’érotisme, c’est une passion qu’il faut selon lui mettre en opposition avec son amour pour Gala, la seule femme à laquelle il dit se livrer. Lorsqu’il écrit sur ses délires érotiques, où d’autres personnes entrent en jeu, on évolue dans un univers fait de manipulations, de voyeurisme, de perversité, où les femmes apparaissent comme de beaux objets manipulables, que l’on façonne aussi bien qu’une oeuvre d’art, mais auxquels on ne touche pas. Elles demeurent donc ces êtres beaux mais mystérieux, étrangers. Les photographies d’Enrique Sabater présentes dans l’exposition semblent témoigner de cette nuance, toute subjectivité admise : l’une d’elle montre un Dali désabusé assis dans sa salle à manger et tournant le dos à une dizaine de belles jeunes femmes. Plus loin apparaissent des scènes de tendresse entre l’artiste et sa muse, dont leur grand âge ne semble pas avoir altéré l’amour réciproque.
Photographies : © Sarah Barry