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Marseille Capitale Européenne de la Culture 2013 retombe sur ses pieds

Marseille Capitale Européenne de la Culture 2013 retombe sur ses pieds

12 January 2013 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Oui, c’est critiquable. La programmation de Marseille Provence 2013 Capitale Européenne de la Culture ne regorge pas d’innovations. Mais du strict point de vue de la politique de la ville, la rénovation urbaine vient apporter aux marseillais une chose rare : une pause dans le drive IN permanent.

Le territoire de la famille

À Marseille, comme à Los Angeles, tout se fait en voiture :  pas besoin d’ouvrir la portière pour poster une lettre. Les J1, J4 et La Friche La Belle de Mai imposent de se garer en longue durée et de réapprendre à marcher. Ces “J” auxquels sont adossés des numéros se référent aux emplacements des compagnies maritimes. Le J1 est donc un hangar brut dont le rez-de-chaussée se trouve en zone internationale auquel les paquebots viennent se frotter. A l’étage, un plateau de 6 000 m2 ouvert sur la méditerranée offre des espaces d’expositions, des ateliers et un café comme la ville en manquait, à la vue plongeante dans les vagues. Dans une démarche intelligente, le lieu est dédié à la participation citoyenne. L’idée est de “Partager l’art”.

Fotokino, installé là pour l’occasion invitera chaque mois un artiste à créer une “boite à outil” permettant aux visiteurs de s’installer là, sur les tables en bois et de créer, dès le 18 janvier, leur tatouage façon Benoît Bonnemaison-Fitte. Par ce biais, une association implantée depuis 2004 aux Réformés se voit offrir un focus fort.

Le J1, propose notamment une Galerie des chercheurs de midi. Les commissaires ont orchestré une récolte de photos de paysages. Le constat est tendre : on photographie tous la même chose ! Et dans la région… en priorité… le soleil ! Les citoyens sont ici mis à l’honneur, leurs noms étalés sur un cartel. Nous voilà face à un portrait du territoire.

Tout comme “Se/ce souvenir”, dans la Galerie de la Jetée, Carole Benitah, Anne Delrez, Benoît Luisière, Sylvie Meunier et Moira Ricci, photographes ou plasticiens, détournent des images familiales, les leurs ou celles d’anonymes, pour faire exposition. Ici, on quitte le côté amateur de la première galerie. Nous sommes  questionnés par des artistes qui ont traité cet objet du quotidien avec un regard critique. Les broderies rouges venant grillager les visages des femmes marocaines de Carole Benitah, ou le deuil de Moira Ricci qui s’intègre aux côtés de sa mère disparue : c’est la famille en tant que lieu de passions qui est épinglée aux murs blancs pendant que par les larges baies vitrées, surgissent les bateaux qui s’en vont rejoindre l’autre rive.

Exposer la famille, dans cette ville d’immigration depuis sa naissance est un choix tant évident que pertinent. Ce J1 est, pour les visiteurs croisés et nombreux, l’endroit où “ils ont attendu le bateau”, souvent, pour rejoindre leurs parents, leurs cousins, leurs amis.

 

Dans une transition sombre, puisqu’on passe du blanc lumineux des galeries ouvertes vers l’extérieur, Raymond Sarti, le scénographe du J1 nous dit “J’ai eu cette volonté de protéger les œuvres et de redonner de l’urbanité ». On entre ainsi dans un espace fermé, totalement noir où de façon un peu hâtive sont racontés “Méditerranées, des grandes cités d’hier aux hommes d’aujourd’hui». La proposition s’inspire classiquement de Fernand Braudel, mettant en avant l’étude DES civilisations. Le dialogue fonctionne entre le blanc et le noir, entre les photos de famille et les amphores grecques, les films de témoignages aujourd’hui et les blanches galeries aux paroles marseillaises. Raymond Sarti nous confie : “Il y a avait 4 000 personnes au vernissage hier, tous avec la sensation de se réapproprier leur ville”

Attendre le Mucem en revenant aux origines

A quelques mètres de là, le J4 comprend un ensemble se situant autour de la cathédrale de la Major. L’endroit est à tomber, l’eau est partout, inondé de lumière. En bordure de port, le MUCEM, dentelé, est encore en travaux. Comme l’a rappelé Jean Marc Ayrault venu présenter ses vœux à la culture : “Nous voici donc aujourd’hui rassemblés au Mucem, Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, magnifiquement réalisé par Rudy Riciotti associé à Roland Carla, qui rassemble dans un geste architectural commun, l’historique fort Saint Jean et ce “bâtiment d’eau, de pierre et de vent” où nous sommes aujourd’hui. Ce Musée, qui regroupera les collections des arts et traditions populaires, longtemps connues des Parisiens, et des collections du Musée de l’Homme ambitionne d’être notre grand musée national sur la Méditerranée. Il ouvrira ses portes au printemps prochain.”

Plus encore, il permet une promenade agréable allant jusqu’au Fort Saint Jean, café à l’appui. Une belle et vaste esplanade invite à la promenade.

Il faut 10 minutes pour joindre La vielle Charité, à pied.

Le lieu vient d’être rénové et contrairement aux restes des installations marseillaises pour l’année capitale, il est totalement fini. On y découvre « Le trésor des marseillais », consacré par les Massaliètes à Athéna, il y a 2 500 ans. Un Trésor est dans l’Antiquité un petit édifice richement sculpté, destiné à recevoir et entreposer des objets précieux. Vingt-neuf fragments classés « trésor national » par les Grecs sont exposés pour la première fois hors de Grèce. Au cœur de la chapelle Puget, c’est en 3D que le bâtiment retrouve volumes et couleur. Plus géopolitique, l’exposition « Vestiges 1991-2012 » de Josef Koudelka est troublante. Des images au grain lourd, un noir et blanc rond. Les images sont belles, orchestrées par l’artiste membre de Magnum Photos. Une scénographie tout en longueur nous confronte à des tirages semblant jumeaux. C’est seulement dans la dernière salle que l’on découvre le projet. Pendant vingt et un ans, il a photographié les grands sites de l’antiquité grecque et romaine dans les dix-neuf pays du pourtour méditerranéen. Les mêmes ruines sur un territoire immense. Là, le témoignage d’un partage de civilisation devient limpide.

La Friche est belle

Là, il faut reprendre ses pieds, prendre la ligne 2 du métro qui, en 5 minutes vous amènera Gare Saint Charles, direction La Friche La Belle de Mai.

Ce lieu est un classique de la ville, souvent catalogué “ingarable !” Après moult aventures depuis 1992, il rouvre une nouvelle fois à l’occasion de Marseille-Provence 2013, dans une proposition qui parait pérenne.

Nous sommes sur un site de cinq hectares où se niche la Tour Panorama. Une exposition, « Ici, ailleurs », réunit 39 artistes originaires des régions méditerranéennes. 29 œuvres sont des créations. Entre “La mer échevelée” sur laquelle s’échoue le Concordia et “Shelter” l’abri antiterrorisme de Sigalit Landau mis en majesté sur la piscine figée du toit de la Tour, vue sur la Rade, trois étages d’art contemporain à la scénographie simple mais efficace, alternant grands espaces et petites salles de projection vidéo interrogeant « Le voyage, l’exil, le déplacement, l’histoire au présent, le monde en question et, la mémoire, la transmission ». Une vidéo d’Orlan montre les portraits de de 24 personnes naturalisées en 2004. Dans un procédé de morphing, sur un visage, le drapeau français est hybridé au drapeau d’origine. Une autre pièce coup de cœur s’adresse à Lara Baladi “La liberté viendra” qui propose une monumentale ceinture de chasteté, venant dénoncer les dérives de la révolution du Jasmin. Autre œuvre forte, celle du marseillais Gilles Barbier qui continue son exploration du corps en présentant un immense appareil digestif, « Le terrier », dans lequel une vie intérieure se déroule : un enfant dort, une radio marche, des bananes pourrissent. Il est ici question de la mémoire gardée par le corps.

La Friche est un lieu pluriel qui se dote des rédactions des radios associatives Grenouille et Galère et d’un resto bobo chic, “Les grandes tables”. Ainsi, Alain Arnaudet, directeur de la Friche, nous apporte sa démarche et sa vision du lieu : “la volonté  d’investir cette friche comme nouveau territoire de l’art. Faire un projet culturel pour un projet urbain”.

Une autre ville

Le changement, c’est maintenant semble-t-il : Marseille devient chic. Cela provoque l’ire de sympathisants du FRIC qui chantaient devant la Major “Marseille est capitale, on y comprend que dalle”.

Ce qui était présenté comme le point d’orgue du week-end d’inauguration de Marseille, Capitale Européenne de la Culture était intitulé “Grande clameur” et était prévu pour samedi soir. Des cris dispersés ont retenti dans le centre-ville suivi de performances, de concerts et de happenings. Le tout s’est donnée sur un territoire devenu 100% piéton. Du point de vue du contenu culturel, l’ambiance était plus à la kermesse qu’à une programmation véritablement artistique. Si les contenus ne suivent pas, les contenants subjuguent.

Une autre Marseille est en gestation dans une belle mutation architecturale toute en humanité où les lieux de sociabilité se font beaux et nombreux.

 

Visuels : (c) ABN
et Delphes, Grèce, 1991 ©Josef Koudelka, membre de Magnum Photos

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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