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Interview exclusive : L’inversement du monde par Tadashi Kawamata chez Kamel Mennour

Interview exclusive : L’inversement du monde par Tadashi Kawamata chez Kamel Mennour

12 December 2011 | PAR Bérénice Clerc

Tadashi Kawamata investit la galerie Kamel Mennour avec Under Water une installation puissante qui sème le trouble sur la place de l’homme et sa responsabilité face au monde. L’artiste Japonais répond à quelques questions à l’intérieur de son œuvre.

 

47 rue Saint André des arts à Paris dans le 6e, la galerie Kamel Mennour est située au fond d’une cour. A peine la porte cochère franchie, le visiteur sera surpris de voir au dessus de lui un ciel occulté par des planches de bois, des morceaux de meubles, chaises, tables, traces de vies cisaillées, bouleversées, éparpillées.

Troublante sensation d’être envahi par une vague de bois, comme une rivière en crue étrange et angoissante.

Cette houle statique et mortifiée domine les trois espaces du rez de chaussée de la galerie.

Touché par les catastrophes frappant le Japon cette année, l’artiste a pensé sa structure en référence à tous ces débris de bois charriés par le reflux du tsunami saturant la surface de l’océan. Ces vestiges des maisons et villages côtiers, qui ne sont pas sans évoquer des ex-votos, sont aussi les fragments de vies brisées, âmes emportées et errant à tout jamais aux confins de l’océan Pacifique. Under the Water retourne le monde,  la surface de l’eau devient le ciel.

Né en 1953 à Hokkaido Japon, Tadashi Kawamata vit et travaille à Tokyo et Paris. Son travail a fait l’objet de multiples présentations dans le monde entier au sein d’institutions telles que le Centre Pompidou à Paris, le HKW à Berlin, le Art Tower Mito à Mito, la Serpentine Gallery à Londres, la Art Pace Foundation for Contemporary Art à San Antonio, le MACBA à Barcelone ; ainsi que dans le cadre de nombreuses biennales telle que la Biennale de Venise.

Quand et comment avez-vous imaginé cette installation ? :

J’étais à Tokyo au moment du Tsunami, j’ai vu ce qui se passait, le gens, la disparition de toute leur vie, de leurs proches et notre impuissance à tous.

J’ai gravé dans ma mémoire l’image d’un journal sur laquelle apparaissait l’océan couvert de morceaux de bois, l’eau n ‘était plus visible.

Le temps a passé, le bois s’est éloigné, les habitants tentent d’oublier, de reconstruire sur du vide, de l’absence et des souffrances multiples. Le bois voyage et quelques mois plus tard il revient après sa traversée de l’océan comme pour obliger la population à ne pas oublier, comme une nouvelle claque en pleine figure.

Je ne voulais absolument pas faire de misérabilisme, raconter le malheur, montrer comme les japonais souffrent…Mais j’avais envie de témoigner de cette catastrophe avec ce que je sais faire.

J’ai la chance de pouvoir fuir le Japon et venir en France cela me donne la juste distance artistique.

Quel message aimeriez-vous laisser aux visiteurs de cette exposition ? :

Je n’aime pas les messages, je ne cherche pas à dire quelque chose, mais à faire vivre une expérience.

Le visiteur est sous une vague de bois comme s’il vivait le tsunami d’en dessous, il ne peut apercevoir que de minuscules morceaux de ciel.

Nous sommes comme des poissons ou des humains sous l’eau après le tsunami.

Cette exposition pourrait-elle avoir lieu au Japon ?

Non je ne pense pas, c’est encore trop sensible, il faut un certain recul pour pouvoir montrer ce genre de choses. C’est très abstrait et à la fois très concret comme sensation, les japonais sont encore en pleine souffrance il serait difficile de leur faire vivre cela. Il s’agit pour moi de montrer au Français ce que vivent les japonais sans tomber dans la pitié.

Pourquoi vivez-vous à Paris ? :

Je suis japonais mais j’ai toujours beaucoup voyagé avec mon travail. Je vais de pays en pays et je repassais souvent par Paris. Après le tsunami je ne pouvais plus vivre au Japon, les légumes, le lait, les aliments sont contaminés. J’ai un petit garçon que j’ai envie de protéger et il adore parler français !

Au même moment on m’a proposé un poste au Beaux arts, Je suis très chanceux de pouvoir vivre et travailler ici.

Quels sont vos projets ? :

Je travail sur une réalisation pour Marseille 2013.

Je suis également en pleine réflexion pour la création d’un monument en bois récupéré dans les eaux après le Tsunami. Une grande sculpture, une sorte de cocon en bois, hommage au Japon, en souvenir du tsunami.

J’aimerais infiniment placer cette œuvre future place de Tokyo à Paris car je sais le rapport privilégié entre Paris et le Japon. Je n’ai pas encore d’autorisations mais j’espère les obtenir.

 

 

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Bérénice Clerc
Comédienne, cantatrice et auteure des « Recettes Beauté » (YB ÉDITIONS), spécialisée en art contemporain, chanson française et musique classique.

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